Warning : ce qu’il y a de profondément injuste, c’est qu’on ne parle avec enthousiasme que des bons jeux. On a trop souvent tendance à négliger le pendant opposé à tous ces méga-hits qui font la légende de tout genre ludique, quelqu’il soit : les bonnes grosses bouses, les immondes daubasses, bref les titres-cageot qui pourtant ont pour certains le mérite d’être de grands moments de poilade. Et assurément, Toilet Kids sur PC Engine est de ceux-là.
Le pitch : vous êtes un gentil garçon mais qui a eu le tort de se gaver de choucroute/pois chiches/haricots blancs/rillettes/sashimi… En pleine nuit vos intestins en viennent à vous rappeler leur fonction naturelle et donc, vous foncez aux latrines histoire d’expulser le trop plein de matière fécale qui vous obstrue le conduit. Et c’est là que l’impensable se produit : chez Lewis Caroll on passait de l’autre coté du miroir, avec Media Rings on se fait aspirer par cette chiotte traîtresse pour se retrouver dans un univers hostile et ma foi fort bucolique.
Autant vous l’avouer tout de suite les enfants, le but de ce texte sera moins de tester ce jeu que de s’interroger sur sa valeur réelle. Car objectivement, Toilet Kids a tous les ingrédients constitutifs et cumulatifs de la parfaite purge (terme choisi).
Sprites lents et laids, maniabilité douteuse lorgnant plus ou moins maladroitement vers Xevious, musiques à chier et au final une impression assez inédite qui amènera la suite de ma reflexion (si tant est qu’on peut causer de reflexion en la matière) : Toilet Kids est-il la daube ultime de l’univers des shoot them up, ou alors un jeu ultra-conceptuel dont nous autres, pauvres petits joueurs Occidentaux, ne sommes pas à même d’en percevoir les subtilités et l’état d’esprit ?
Car oui, ce Toilet Kids a pour mérite d’instaurer un genre et un univers très particuliers, celui d’une scatologie de bon aloi avec tout ce qui l’accompagne.
Les niveaux se suivent et se ressemblent, mais sont étonnamment champêtres pour ce qui n’est censé qu’être le conduit de vos chiottes…Forêts, prairies et autres survol d’une flotte immaculée… (à ce propos, comment ne pas songer et citer ici ce délicieux passage du génial Trainspotting de Danny Boyle, où Mark Renton [Ewan McGregor] s’offre un peu de brasse coulée dans les pires toilettes de toute l’Écosse, à la recherche de ses suppositoires à l’opium, accidentellement expulsés par l’arrière suite à une dé-constipation soudaine ?).
Tous ces niveaux sont peuplés d’un bestiaire plutot…unique : des étrons par dizaines, mouches et araignées ornées d’un popotin tout rose dont elles se serviront allègrement (mais nom de ! qu’ont-elles bien pu bouffer pour être si prolixes en gros cacas ?), getas volants dont on peut supposer l’odeur pestilentielle, crapauds chieurs et petits bonzes qui pousseront afin de vous emmerder. Et bien évidemment, des chiottes qui s’ouvriront pour vous déborder dessus. Mais mes petits ennemis préférés ce sont indéniablement ces petites quéquettes volantes qui vous arrosent d’un pipi tout jaunâtre et des boss homériques comme ces araignées péteuses ou cet éléphant qui vous canarde de crottes de nez, oups de crottes de trompe !
Passé ce petit descriptif qui met l’eau à la bouche ( avant de la vomir), il convient de se poser la question, mais qu’est-ce que nos confrères du Levant peuvent bien trouver ces univers délicatement fleuris de la scatologie « récréative » ? Entre Arale et son caca sur la main, Talulu le magicien et sa crotte magique qui exauce les vœux, Muscleman et son incapacité chronique à retenir ses gaz intestinaux et sa déplorable manie de se curer le nez en grand public. La place faite aux excréments et résidus corporels dans ces œuvres est finalement suffisamment importante et incongrue pour éveiller soit la curiosité, soit le dégoût. J’ignore ce qu’en auraient dit Sigmund Freud, Carl Gustav Jung ou Jacques Lacan, mais ici chez nous petits Occidentaux coincés, le culte de la matière fécale ne me semble guère autant institué. Ah j’oubliais, même Metal Slug contient un bonus « étron fumant et entouré de mouches » qui vaut 10 points.
Donc certes il n’est pas ici question de ridiculiser (ou alors juste un peu…) cette culture scato, et même peut-être de la réhabiliter (après tout, c’est humain et naturel comme comportement que de devoir se rendre aux latrines, non ?) . J’en viens à me demander si Toilet Kids ne mérite pas un double sens de lecture…Si le premier est assez ostensible et connus de bon nombre de joueurs de shmup comme étant un des plus mauvais jeux jamais conçus avec son action cafouilleuse, son sujet très spécial et sa réalisation toute pisseuse, le second en fait…Pourrait se résumer en une question : finalement, n’avons-nous pas là un jeu si conceptuel et si « personnel » que seuls certains esthètes de bon gout seraient à même de considérer comme l’oeuvre d’art qu’il serait ? La qualité extrêmement piètre de cette production ne transcenderait-elle pas finalement les codes usuels habituellement constitutifs de ce qui fait les grands shoots, afin de nous livrer un pinacle, un parangon de jeu conceptuel dont seule une élite de joueurs très au courant des penchants mystérieux et inexpliqués de ces programmeurs de Media Rings seraient capables de comprendre ? D’en saisir le sens profond et réel ?
Toilet Kids, le jeu qui finalement peut faire passer celui qui s’y adonne comme un inculte Béotien avec des problèmes psychanalytiques refoulés dont un Gérard Miller dirait qu’ils sont dus à des couches trop serrés et pas assez souvent changées par des parents beatniks qui pensaient qu’à fumer leur beuh au son de Bob Marley ou de Yellow Man au lieu de « désemmerder » leur petiot…Ou alors un jeu traitant d’un aspect marginal de la culture nipponne et de fait, dénotant la saine curiosité du joueur pour les productions très personnelles de nos amis nippons ?
Tout ceci fait décidément de Toilet Kids un jeu (de merde !) mais qui n’a pas fini d’alimenter les conversations entre historiens et esthètes du jeu vidéo et du shmup en particulier. Un bon sujet à disséquer entre le fromage et le dessert.
Et voici le générique de fin :