Shooting Game… History… L’histoire du Shooting Game, documentaire que l’on ne présente plus, réalisé sous la houlette de Sébastien Ruchet et Alex Pilot pour le compte de Game One en 2006, ce dernier proposait durant une bonne demi-heure de revenir sur le genre pionner de l’Arcade. Tout à la fois didactique, informatif et mettant en valeur pour la première fois à la télévision quelques-uns des créatifs du secteur ; ce reportage ainsi que l’histoire des jeux de combats faisaient alors sortir les genres de niches de leur ghetto pour les remettre en valeur en les rendant à nouveau visibles au plus grand nombre. Redonner le goût de la chose, créer l’appétence, donner l’envie de s’y (re)mettre, voilà ce que ce reportage proposait. A juste titre le travail fut salué (et le reste encore à ce jour), aussi bien par ceux qui (re)découvraient que ceux qui nageaient dans le bain depuis des lustres.
Toutefois il y a un « mais », qui n’est pas le seul fait de ce reportage, mais vient avant tout d’une façon de percevoir les révolutions qui ont bousculés les shoot’em’up dans les communautés rétro’ depuis le début des années 2000. A cette époque, l’établissement des premiers sites rétro’ de poids et la puissance d’une émulation enfin stable a permit à chacun de redécouvrir les titres qu’il/elle affectionnait. Mais en matière de shoot’em’up, on découvrait alors sur le tard une branche du genre peu représentée jusque là en occident : Le Danmaku. Il n’en a pas fallu plus pour que s’opère une césure laissant entendre que d’un côté il y avait les titres d’un autre temps « Old School », renvoyés à leurs veilles pénates ; et de l’autre les titres modernes « Danmaku » grandement représentés par CAVE, Raizing et consort qui à coup de baguette magique auraient réinventé la roue. Une vision simpliste qui expurge toutes les nuances qui compose les nombreuses ramures des shooting games. Et comme par effet de contagion, cette tendance, cette mode serais-je tenté de dire, a de mon point de vu biaisé l’appréciation des grands moments de basculement du genre dans l’inconscient collectif des joueurs et joueuses.
J’en viens donc à mon propos, car justement le but de ce dossier est de donner un gros coup de latte dans la fourmilière et tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues à ce sujet. Toutefois loin de moi l’idée de débarquer avec mes gros sabots en vociférant La Vérité et en vous balançant au coin de la gueule les tables de la loi. Ma proposition et ma propre appréciation de certaines évolutions découlent directement de mon parcours de « shooteux ». Ainsi ma vision des choses sera volontairement subjective, mais en argumentant du mieux que je le pourrai, pour donner du poids à mon propos, j’espère que celui-ci vous apparaîtra comme une réalité objective. Encore que le vrai but de tout ceci, n’est pas tant d’orienter votre point de vue mais plutôt de vous faire réagir. Libre à vous de contredire, de commenter, de citer d’autres exemples, bref d’amener de l’eau au moulin. L’essentiel étant de sortir la tête du guidon et de commencer à regarder le paysage dans son ensemble, un panorama dans lequel la vision des évolutions des shooting games se veut pluriel et non plus binaire.
A présent j’abandonne la licence poétique merdique pour commencer, avec un plaisir certain, à casser quelques unes des idées reçues qui entourent les shoot’em’up. Je range au placard l’objectivité, car maintenant sus à l’ennemi et à l’abordage !
1985 – 1989 : Les premiers germes des danmakus
Batsugun, Donpachi, Dodonpachi, autant de titres qui pour nombre d’entre vous représentent le point de départ des Danmaku. Certains vont jusqu’à remonter sa trace en 1993, voyant déjà dans V-Five le premier shooting game dessinant une ébauche de ce qui sera une branche incontournable du genre au milieu des 90’s. Toaplan et CAVE, deux faces d’une même pièce. Pourquoi pas… Mais pourquoi… Et puis pourquoi ne pas remonter encore plus loin ?
Avant d’annoncer la teneur de ce qui va suivre, voyons déjà quelles sont les spécificités des Manic, en excluant volontairement le cas des hitbox réduites (nb : qui sera aussi un autre sujet de discussion dans ce dossier). De façon très simpliste, on peut le décrire comme suit : une difficulté sans limites, contrebalancée par une puissance de feu extravagante. Si bien évidemment, quelque soit le type de shoot’em’up, le skill et la connaissance approfondie du titre entrent en ligne de compte ; dans les danmakus de la première heure, l’apparente difficulté à contenir le jeu est très souvent compensée par un puissant armement à même d’équilibrer le rapport de force, mais surtout d’apporter un sentiment de toute puissance à chaque coup de blast, qui se renforce une fois que le joueur à tous les éléments de gameplay bien en main. On en arrive donc au point de jonction puisqu’en 1985, Gradius s‘inscrivait déjà dans cette définition. Mais entendons-nous bien, il ne va pas s’agir d’affirmer que le hit de Konami donne naissance aux danmakus, mais plutôt de démontrer qu’il annonce la couleur de la décennie à venir. Il s’agit en somme de voir et considérer cette année 1985 comme l’année zéro des shooting « modernes ».
Rappelons qu’avant cette année clé, une grande majorité des shoots ne sont que des resucées plus ou moins réussies de deux titres connus de tous : Space Invaders (1979) qui officieusement donne naissance au genre, auquel bien d’autres éditeurs emboîteront le pas ; et Xevious (1982) qui enrichit considérablement le champ de vision du genre avec nombre de concepts que l’on retrouve encore de nos jours (rank dynamique, éléments de scoring cachés, lecture du jeu sur deux plans). Si nombreux sont les titres qui ont éprouvés et améliorés ces deux modèles, on note qu’ils ont deux points en communs, ou plutôt deux défauts si l’on se place dans le présent : un armement peu sexy et l‘absence d’un rythme soutenu. On peut ainsi affirmer que Gradius va injecter du sang neuf dans un genre qui commence dès cette époque à se mordre la queue.
La modularité, l’extension de l’armement et la puissance de feu est l’une des premières grandes forces du titre. Je ne vais donc pas revenir sur ce que tout le monde sait déjà (P-Up Gauge/Options), mais plutôt insister sur l’aspect inédit de la chose à l’époque. Le Vic Viper démarre nu, doté d’un simple « blaster-pissou », comme finalement une majorité des titres pionniers. Et c’est bien là que Gradius renouvelle le modèle type, puisqu’à mesure que le joueur se fait au système de la P-Up Gauge, il commence à accroître sa puissance de feu ; mais non celle qui s’apparente à un légère upgrade sauce double shot à la Galaga, mais bien celle qui va balayer l’écran et les rangs ennemis d’un seul trait. Le Laser (outre les Options) est cette arme emblématique qui va enfin donner ce sentiment de puissance qui manquait alors grandement aux shooting games. A ce propos Kengo Nakamura, mecha-designer sur le projet, témoigne de l’impact et de l’aspect innovant de la chose :
« Dès le début nous avions une vague idée quant à l’intégration d’un laser qui faisait penser aux rayons des films de SF, quelque chose que l’on n’avait encore jamais vu en arcade. C’est notre directeur qui s’est le plus investi dans la conception du laser [..] Nous (les designers) avons cédé nos places et observé (rires). A l’époque c’était vraiment incroyable ce laser qui « POW » va et traverse l’intégralité de l’écran. On en avait la chair de poule. »
Ne trouvez-vous pas que ce ressenti est le même que nous avons tous eu en mettant pour la première fois les mains sur Donpachi et sa séquelle ? N’était-ce pas incroyable de voir ces énormes lasers traverser l’intégralité de l’écran et balayer les ennemis d’un coup ? Vous me direz qu’après tout nombre de shooting games de la seconde moitié des 80’s savaient aussi offrir leurs lots de joyeusetés, mais très rares étaient les shoots qui donnaient en guise d’armement standard une telle puissance de feu. Gradius se veut alors l’antithèse de la première vague de shoot’em’up. Fini la frustrante continence de votre verge stellaire, Gradius ouvre les vannes de l’orgie destructrice qui coulera à flot dans le courant des 80’s & 90’s.
Toutefois comme je l’avais indiqué un peu plus haut, cette puissance de feu se doit d’être contrebalancée par une difficulté sans limite. Nombreux sont ceux qui comme moi connurent Gradius par le biais de la « sold over one million copies in Japan » version NES, tout à fait correcte mais qui pour autant ne retranscrivait pas avec exactitude la réelle difficulté du titre en Arcade. Et lorsque l’on s’attaque à l’original, on a de quoi être surpris pour un jeu dit « old-school », tant ce dernier vous prend à la gorge, vous pousse dans vos retranchements dès la fin du premier niveau. Les ennemis sont vifs, quadrillent l’espace mais surtout avoinent rapidement de manière déraisonnée.
Gradius ne fait pas dans la dentelle car plus vous armez votre Vic Viper, plus vous arrivez à tenir votre partie, et plus le jeu vous en foutra plein la gueule. Le rank n’est pas ici dynamique (nb : variant en fonction du skill du joueur) mais en constante évolution. A vous de savoir manier les options et jouer avec la modularité des capacités offensives du Vic Viper pour vous dépêtrer de situations à chaque fois plus complexes, mais surtout chaque fois plus chargées en tirs. A chaque niveau passé, les balles dessinent un rideau qui tentent d’entraver votre périple spatial. Et si vous arrivez à voir le bout de ce parcours du combattant, vous repartez pour un nouveau tour de manège encore plus démoniaque, mais avec cette fois en prime, de sympathiques chapelets de boulettes suicide largués par chaque ennemi abattu. Gradius porte en lui les germes de ce qui donnera naissance à l’ère moderne des shoot’em’up, et ses suites n’y dérogeront pas puisqu’elles alourdiront encore l’ardoise avant même le début des 90’s. Ainsi Tsuneki Ikeda, cofondateur de CAVE dont il est maintenant le directeur des opérations, dira en 2004, lors d’une interview donnée au site GLSA (nb : traduite sur shmuplations), l’importance qu’a eu un certain titre Konami sur sa personne et en quoi il l’influencera par la suite dans sa propre vision du shoot’em’up. A la question « Parmi tous les shooting games auxquels vous avez joué, lequel mérite selon vous le titre de chef d’œuvre ? », il répond :
« Salamander de Konami. Son impact visuel était phénoménal pour l’époque, les barrages de tirs venant de tous les côtés étaient d’une telle intensité, et j’adorais les échantillons sonores… Il y a beaucoup d’aspects dans mes jeux, encore aujourd’hui, qui sont grandement influencés par Salamander. Sa courbe de difficulté m’a particulièrement inspiré, et cette façon dont les ennemis peuvent vous surprendre en vous attaquant… Ce fut le premier jeu à faire sauter mon barrage mental « difficile = mauvais jeu ».
De mon point de vue, le plus grand point d’attrait dans les shoot’em’up consiste à prendre ces éléments très simples et de les agencer comme des puzzles en temps réels afin que vous les déchiffriez à force de « die & retry ». Tirer sur des ennemis et esquiver des tirs est une mécanique très simple, mais en les combinant de manière intéressante dans certaines situations, vous créez alors un jeu dans lequel le joueur se demande à chaque moment : Que dois-je faire ici ? Que dois-je faire là ? Et c’est justement ce que j’aime dans les shoot’em’up. »
Tentez donc l’expérience Salamander, et si vous arrivez à tenir jusqu’à la fin du cinquième stage, vous y verrez quelque chose de très surprenant pour un titre de 1986 : le premier vrai rideau de balle « danmaku ». Et si en voulez encore, lancez donc simplement Gradius III et goûtez aux joies du Bubble Stage, Fire Stage ou encore du Cube Rush… Des noms qui font encore frémir les vieux briscards, ceux-là même qui savent que celui qui ouvrit le premier les vannes du déluge était un shooting « Presented by Konami ».
1991 : Le(s) vrai(s) père(s) de Battle Garrega
Que vient donc faire Battle Garegga au milieu d’un dossier dédié aux évolutions qui ont marqué les shoot’em’up ? Si le sujet des hitbox réduites sera abordé dans une autre section de ce dossier, le cas de Garegga est, va-t’on dire, à part tant on a tendance à le présenter comme une révolution en soi. Sa propension à multiplier les éléments de scoring nonsensiques, sa gestion du rank en roue libre, et sa difficulté à même d’effaroucher le plus stoïque des joueurs en fait une bête particulièrement ardue à chevaucher. Un challenge donc, d’autant plus gratifiant pour ceux et celles à même de dompter l’animal. Culte à bien des égards pour nombre de shooteux, tout comme le nom de l’un de ces concepteurs, Shinobu Yagawa, on en viendrait à penser que Garegga aurait en 1996 lui aussi tout réinventé. Dans les faits il n’en ait rien. Toutefois il ne s’agit pas ici de saper le travail de Yagawa mais plutôt de démontrer que nombre de STG antécédents ont abreuvé son hit. Ainsi, il a littéralement calqué la trame générale d’un shoot Taito, qu’il a assaisonné à coups de cloches Konami et en saupoudrant le tout d’une fine couche de rank et secrets d’un titre légendaire de Namco. Cependant veuillez dès à présent m’excuser, car je vais activer l’option flemme dans ma P-up Gauge, pour vous servir un copié/collé d’un dossier de mon cru détaillant avec force détails le premier ingrédient de la recette Garegga.
Ingrédient n°1 : Gun Frontier (1991 – Taito)
Voilà un shooting game qui tire son épingle du jeu par un certain nombre d’idées de gameplay. Non pas que je vais m’amuser à revenir sur chacune des subtilités propres au système de jeu, mais plutôt faire ressortir deux idées fondamentales qui se sont inscrit dans l’ADN de Battle Garegga.
La première d’entre elle étant la gestion du rank à la limite du non-sens et son scoring system aux antipodes des codes en vigueur pour son époque. A trop marteler le bouton de tir, vous faites monter le rank, trop de bombes en stock et la punition sera identique et en stockant trop de vies je vous laisse deviner la suite… Imaginons maintenant que vous tenez le bon bout et que votre souhait le plus ardent soit de marquer votre territoire en posant plusieurs millions de points dans le highscore. C’est là que vous comprenez que le souffle de la Napalm Bomb multiplie la valeur des ennemis pris dans l’explosion. Et là, en dépit du bon sens vous vous dites : « Ok, je me trouve un spot bourré d’ennemis situé juste après un checkpoint, je bombe, puis je me suicide. Je reviens au checkpoint plein de Napalm sous mes ailes, je réitère l’opération et là les vies supplémentaires commencent à pleuvoir. Je continue jusqu’à atteindre la limite, et poursuis ma route jusqu’au prochain spot ». De plus recharger sa bombe ne suppose pas de collecter un item spécifique, il suffit de collecter les munitions (nb : barrettes dorées) laissées par les tanks abattus. Pourtant aucun besoin d’une charge complète pour utiliser la Napalm Bomb, elle est disponible à tout moment même si sa portée sera moindre. Toutefois cela permet ainsi de continuer à scorer et de profiter des brèves frames d’invulnérabilité que génère le souffle pour se sortir d’un mauvais pas. Et c’est bien là l’une des marques de fabrique de Battle Garegga, qui reprendra à son compte, aussi bien l’univers visuel de Gun Frontier que l’une de ses approches en termes de scoring. Même si Yagawa reconnait à demi-mot cette filiation, elle est pourtant empreinte de clins d’œil évidents à Gun Frontier.
Ingrédient n°2 : TwinBee (1985 – Konami)
Ah, Battle Garegga et son célèbre système de Medal Chain, si jouissif à construire mais où le moindre écart de placement peut vous coûtez une somme conséquente de points bonus ; tout comme une vie pour peu que vous oubliez de garder un œil sur ce qui se passe autour de vous. Rappelons brièvement que cette principale mécanique de scoring consiste à récupérer des médailles/blasons dorées (nb : lâchées par certains ennemis abattus) en chaîne avant qu’elles ne sortent de l’écran, chacune d’entre elles s’incrémentant en points et augmentant ainsi d’autant plus votre score. Si Garegga ne se limite pas à ce seul élément de scoring, il n’en constitue pas moins l’un des fils conducteurs de cette production et de bien d’autres jeux signés Yagawa (Battle Bakraid, Armed Police Batrider…). La parfaite démonstration d’une mécanique de jeu subtile, qui sous une apparente simplicité est très compliquée à dessiner une fois que vous êtes lancé dans la partie. Intelligent et efficace, quel génie ce Yagawa… Ben voyons…
Revenons une nouvelle fois du côté du Konami et sur l’un de ses tout premiers cute’them’up sorti la même année que Gradius. Le Medal Chain que l’on attache à tout venant à Garegga & Cie, a surtout pris forme à compter de TwinBee. Dans ce jeu la montée en puissance se mêle au scoring par le biais de petites cloches cachées au sein de cumulus. En tirant dessus, le joueur maintient les cloches en hauteur et peut au bout d’un certain nombre de hits en modifier la couleur pour obtenir un upgrade (nb : double shot, shield, etc), ou bien commencer à construire une Bell Chain tant que les cloches conservent leur couleur initiale (dorée). Dés lors chacune d’entre elles augmentent de valeur jusqu’à atteindre un seuil max de 10’000 pts, le but étant alors bien évidemment qu’aucune ne sortent de l’écran pour faire péter le compteur de points. Il en découle une prise de risque conséquente, car le joueur est tiraillé entre sa volonté de jouer sa partie de la façon la plus sécurisée qui soit, en faisant fi des bonus, mais peut aussi chercher à jouer le score en déviant systématiquement d’une trajectoire idéale pour aller chercher et maintenir sa Chain. Cette jolie idée de gameplay, qui fera un petit détour chez Parodius, pose dès le milieu des années 80 les fondements des systèmes à médailles des futures productions Raizing ou encore Seibu Kaihatsu (Raiden Fighters Trilogy). Intelligent et efficace cette belle chaîne, quels génies ces messieurs de Konami.
Ingrédient n°3 : Xevious (1983 – Namco)
Battle Garrega est aussi aux yeux de beaucoup (et je m’y inclus fort volontiers) un titre dont le système et nombre de paramètres sont particulièrement cryptiques. Le jeu tire une partie de son aura dans cette zone d’ombre, dans tous ses non-dits, dans ses secrets, qui avant l’heure d’internet ne se transmettaient que par le bouche à oreille ; ou bien dans les Game Centers là où les fans et futures communautés allaient dans une seine concurrence pousser le jeu loin, très très loin… Et non pas dans ses dernières limites, car encore aujourd’hui des joueurs dévoués continuent à le doser. Mais bien avant Garegga fut Xevious, jeu considéré comme une véritable légende des shooting games au Japon, et qui 13 ans avant annonce aussi quelques-uns des ingrédients secrets de la formule Garrega.
Dans une interview daté de 2008 aux éditions Pix’n’Love, Florent Gorges revient sur la légende de Xevious et de son créateur méconnu en occident : Masanobu Endo. Xevious est avant tout une histoire de tips, de secrets et légendes urbaines, mais aussi de ce que beaucoup considère en 1983 comme un jeu doté d’une intelligence artificielle, qui en fait le premier rank dynamique. Ainsi M. Endo précise :
« Dans le programme tous les ennemis sont classés par ordre de menace. En fonction de vos performances, l’ordre d’apparition des engins adverses sera donc différent. Pour être concret, un joueur très fort aura plus rapidement des adversaires difficiles à abattre ».
Un peu plus loin, il explique que le joueur a pourtant la possibilité de jouer sur ce même rank :
« En fait, il y a une astuce restée secrète très longtemps qui permet de faire baisser le niveau de difficulté du jeu […] En détruisant Zolbak, [un immeuble conique], avec votre Blaster, vous faites reculer l’ordre d’apparition des ennemis ».
Dans le dernier segment de l’article, il revient sur une chose très amusante mais aussi révélatrice de la montée en puissance des scores à plusieurs milliers de points (nb : counterstop à 9’999’990 pts). Dans une interview donnée en 2003 au site GLSA (nb : traduite sur shmuplation), il revient sur cette anecdote :
« Tout juste deux semaines après la sortie de Xevious dans les salles, j’ai ouïe dire que quelqu’un l’avait counterstop. En toute honnêteté j’étais un peu effaré par le niveau de ce joueur (rires). J’ai alors reçu une longue vidéo de près de 6 heures de la part du joueur, Yasuhiro Ohori, qui par la suite est devenu le président de Matrix Software. Je crois me souvenir qu’il était encore collégien à cette époque. Cet adolescent au crâne rasé s’est pointé rayonnant de fierté en me disant : « J’ai fini ce jeu ! Je l’ai counterstop !». On a alors regardé sa vidéo et discuté. Je lui ai dit que je trouvais ça incroyable, et puis après je n’avais plus vraiment grand-chose à dire (rires). Il m’a demandé d’écrire quelque chose à ce sujet. Les dirigeants de Namco n’y voyaient pas d’inconvénients, il est parti et par la suite a publié un guide « Comment obtenir 10 millions de points sur Xevious ».
Je pourrai vous assénez les paroles de Masanobu Endo ad nauseam, en sachant que j’expurge volontairement bien des aspects (les sols, les bacuras, les légendes urbaines, les échanges de notebooks dans les salles…) ; afin de mettre en valeur le caractère iconique de ce shoot’em’up au Japon. Dans le courant des 80’s, nombres de gamins et adolescents qui vont devenir les futurs développeurs et créatifs du secteur des jeux vidéo nippon, n’ont pu échapper à cette pièce maîtresse du genre. Et il n’y a pas à douter que Yagawa en faisait certainement parti.
1992 : Tailler dans la hitbox
« Et puis il y a aussi le masque de collision qui est beaucoup plus petit que ce que l’on imagine en voyant le vaisseau […] Le masque de collision c’est la partie du vaisseau qui est vulnérable en cas de contact avec les projectiles ennemis, cela veut dire que si une balle touche le vaisseau, il ne se passera rien pour peu que le masque de collision soit suffisamment serré […] Et c’est surtout ça la grosse nouveauté [de] gameplay des danmakus, avant dans un shooting le masque de collision correspondait à peu près à la taille du vaisseau visible à l’écran »
Ainsi s’exprime la voix-off dans le documentaire « Japon : Histoire du Shooting Game » donnant ainsi un visage et une définition de ce que beaucoup ignoraient jusque-là, et va inciter nombre de joueurs à mieux jauger et connaître les contours des masques de collision dans les titres auxquels ils aiment s’adonner. Puis, on creuse et on finit par comprendre que cette fameuse hitbox réduite, « la grosse nouveauté [de] gameplay des danmakus », n’en n’est pas vraiment une, ou plutôt que la taille des hitbox a évolué à mesure que les shoot’em’up gagnaient en maturité. On peut ainsi dégager trois grands axes :
Lors de la période Post-Invaders (1979), la hitbox est pleine (Vaisseau = Hitbox) car la plupart des titres se calquent sur les maîtres étalons que sont alors Space Invaders, Xevious & Defender. Nous sommes en pleine naissance d’un petit univers dans lequel tout reste à inventer, et où les règles qui régentent le genre sont encore relativement simples. Ainsi, tant pour le quidam que les concepteurs, la logique veut que dans une joute aérienne, le moindre tir fasse sauter l’aéronef du joueur. C’est une question de perception, la hitbox est entière car s’il s’agissait d’une situation réelle la conclusion d’un tel événement serait la destruction. De plus, nombreux sont les shooting games à ne pas être entravés par des barrières physiques : Décors, dénivelés, etc… Et même si ces éléments commencent à se faire jour dans des titres tels que Defender, Scramble ou encore Bosconian, le level design de ces jeux reste encore trop simpliste pour envisager d’ajuster les hitbox. Qui plus est cela consisterait à modifier la perception des joueurs, et potentiellement brouiller la lecture de jeu et perdre un public alors accro aux batailles interstellaires.
C’est lors de la période Post-Gradius (1985) que les lignes vont commencer à légèrement bouger. J’en reviens encore à mon éternel marotte, mais comme on a pu le voir en ce début de dossier le jeu est très généreux en tirs. Mais s’il ne s’agissait que de cela… L’une des autres particularités de ce classique tient aussi à l’extrême complexité de son level design en son temps. Dans Gradius on doit non seulement savoir naviguer dans le flot des barrages ennemis, mais aussi savoir se faufiler dans les décors et autres minuscules corridors, sous peine de se crasher ou de finir noyé dans le feu adverse. Racler le décor, racler les ennemis, racler les tirs. Cela devient effectivement possible car les programmeurs, du fait de ce level design, n’ont eu d’autre choix que de légèrement raboter la hitbox du Vic Viper, mais aussi celle des décors afin de rendre possible des esquives un poil plus permissives. Si rien de tel n’est dit dans les making-off du jeu, j’ai pourtant eu confirmation ce que je supputais lors du 3e anniversaire de l’association Arcade : Coin Op Legacy.
A cette occasion, l’une des bornes accueillait la PCB de Gradius sur laquelle un régulier, Masao Ogino, nous a montré ce que le titre avait dans le ventre. En discutant avec ce joueur « d’époque », ce dernier m’a confirmé qu’il existait une marge d’erreur aussi bien sur les décors que sur les tirs du Big Core. Ainsi à la fin du 1er niveau, il est possible d’utiliser une faille du plafond (dans la section des volcans) pour se mettre totalement à l’abri de l’éruption, tout comme le Vic Viper peut passer pile poil en plein milieu du pattern du Big Core. Evidemment cela ne se limite pas à Gradius puisque bien d’autres jeux suivront ce même chemin à compter de 1986. Les artisans du shoot’em’up commencent à revoir les hitbox par nécessité, pour permettre à des titres plus développés de respirer et de déployer leurs qualités de gameplay au sein d’un level design tortueux. Maintenant, souvenez-vous de cette ritournelle que nous lâchions mentalement en ces temps d’insouciance : « Je frôle mais ça passe, je frôle mais ça passe, … ». Effectivement ça passait, non pas que l’on frôlait la mort mais parce-que les concepteurs avaient eu l’intelligence d’ajuster les hitbox sans que cela n’interfère avec notre ressenti.
Cependant les choses vont bien vite changer au moment de la période Post-Batsugun Special Ver. (1994) … Peut-être vous attendiez-vous à l’habituelle lapalissade que nombre de personnes ânonnent à tue-tête. Quand on dit danmaku et masque de collision réduit, on pense dans l’immédiat à Ikeda (CAVE) ou Yagawa (Raizing), pourtant on oublie souvent de citer Shin Nakamura (Psikyo) dont les productions n’ont jamais rien eu à envier à ses concurrents sur le créneau du Manic. On peut même dire qu’aux côtés d’autres éditeurs (Capcom, Saibu Kaihatsu, Taito, et j’en oublie…), qu’il a été à l’avant-garde de l’un des éléments clés qui s’imbriquera dans le genre roi de la fin des 90’s. Cependant avant même que Shin Nakamura ne délivre sa propre vision des shoot’em’up avec Psikyo, ses premières armes il les fait d’abord chez Video System ; entreprise au sein de laquelle il donne avec Sonic Wings (1992) l’ébauche de ce qui deviendra par la suite l’école Psikyo. On y voit déjà certains éléments qui seront la marque de fabrique des productions drivées par Nakamura : la forme géométrique et l’ouverture des patterns, l’écran qui peut vite crouler sous les tirs et des boss aux multiples formes. Mais ce qui dénote surtout le plus, c’est la marge de manœuvre assez sidérante qu’offre le masque de collision.
Chaque jet de combat peut passer dans un mouchoir de poche. Comme vu plus haut, c’est par nécessité de faire évoluer la formule que les concepteurs ont du réviser progressivement la taille des hitbox. Dans le cas de Sonic Wings, les patterns se déploient en suivant la verticalité de l’écran, ce qui dans la logique de Shin Nakamura à amener à l’amincir pour arriver à une hitbox verticale. Elle permet ainsi au joueur de se faufiler plus aisément dans des couloirs de tirs rapides et velus. Certes, nous ne sommes pas encore à l’heure des masques de collision de quelques pixels, mais c’est pourtant bien Nakamura qui le premier taillera à grand coup de serpe dans les hitbox. Pas besoin de « Special Version » car avant d’autres, lui avait déjà compris qu’elle était l’effet de levier qui allait permettre de propulser les shooting games vers de nouveaux horizons.
1996 : Hitbox je te vois
Le milieu et la fin des années 90 signe l’explosion et le règne du danmaku, ainsi que de l’omnipotence de CAVE dans la tête de certains joueurs. Comme on a pu le voir tout le long de ce dossier, l’entreprise est loin d’avoir tout inventé mais reconnaissons lui au moins le mérite d’avoir osé changer radicalement la donne en associant des patterns incroyablement denses à une réduction drastique des hitbox. Et c’était alors un véritable risque, car non seulement la difficulté pouvait paraître insurmontable, mais surtout en altérant si soudainement les masques de collision, CAVE bousculait la perception des joueurs. Cependant à force, ces derniers ont fini par s’accoutumer à cet état de fait, mais il subsistait toujours un petit doute, une envie que le masque de collision devienne enfin apparent afin de clarifier la lecture de la grille de jeu. CAVE finira par répondre à cette attente en 2004 à la sortie de Mushihime-Sama. Le jeu connaît un succès mérité, aussi bien grâce à ces différents modes de difficultés s’adressant à différents profils de joueurs, que son univers bariolé et coloré, mais aussi car la hitbox devient enfin visible. Le jeu créer alors un appel d’air dans lequel vont s’engouffrer de nouveaux venus qui ont fini par croire que Mushihime-Sama était le premier shooting game à rendre le masque de collision apparent. Ce qui, comme vous vous en doutez, n’est pas si vrai que ça.
On peut déjà citer le contre-exemple Radiant Silvergun en 1998, mais il faut en fait remonter en 1996 avec Raystorm. Avant même d’expliquer ce qui a amené le staff de Taito à prendre une telle décision, il faut déjà comprendre pourquoi Raystorm est ce qu’il est. En 1993 sort le premier opus de la Ray-Trilogy : Rayforce. Ce titre a marqué les shooteux sur bien des aspects. Mais l’une de ses principales caractéristiques et attraits sont les saisissants effets de profondeurs/reliefs qui composent un plan séquence unique, vous menant de l’espace jusqu’au centre de la terre sans le moindre interlude. Encore aujourd’hui la technique ainsi que la maîtrise des effets graphiques n’ont pas pris une ride car rien n’est tape à l’œil ou gratuit. Tout est élégamment orchestré, fluide et naturel. Dans la foulée, une suite du nom de R-Gear est mise en chantier mais vite abandonnée. Si les raisons sont encore à ce jour inconnues, on peut toutefois penser que la similitude graphique trop marquées avec le 1er épisode, l’annonce la Playstation et de cartes arcades basées sur son architecture (nb : portage faciles et améliorées), mais surtout le cap décisif de la 3D ont décidé les pontes de Taito à revoir leur copie pour rester dans le coup.
C’est là que Raystorm entre dans la danse et ce qui va nous intéresser ici : en quoi le choix de la 3D ainsi que le double postulat initial propre à la série, profondeur et relief, va influer sur la représentation de l’espace de jeu et rendre visible la hitbox des R-Gray (nb : vaisseaux). La règle de base veut que qu’un shoot’em’up vertical (nb : que la visualisation soit en Tate ou Yoko), adopte une vue zénithale. C’était le cas de Rayforce dont magie opérait grâce à une ré-exploitation très astucieuse de la technique « Super-Scaler » si chère au Taikan Games de SEGA (Power Drift, Thunder Blade, Outrunners, etc). Avec l’apport de la 3D, les choses vont devenir plus simples, pour autant elle ne fera pas tout et surtout afin de forcer la perspective, le staff de Taito va opter pour une vue en plongée très similaire à celle de Silpheed (1988).
L’avantage étant qu’elle renforce l’effet de profondeur et permet d’user d’effets en trompe l’œil. Par exemple dans les décors du 1er stage, seul les gratte-ciels et autoroutes aériennes sont modélisés, le sol se composant uniquement d’une texture de bâtiments étirés ; et qui grâce à la perspective forcée donnent le sentiment d’être en reliefs. Si l’effet à pris un coup de vieux, à l’époque nous n’y voyions que du feu et ce tour de passe-passe fonctionne encore à merveille sur la 3rd Fleet.
Mais le principal inconvénient de cette vue en plongée est justement de fausser la vue du joueur, et perturber l’appréciation des collisions sur ce titre. De plus le crénelage sur les modèles 3D rend illisible l’action dans la partie haute de l’écran. Pourtant Raystorm a été joué, rincé et apprécié par de nombreux shooteux. L’équipe en charge du titre savait très bien où elle mettait les pieds. On ne lit pas l’aire de jeu de Raystorm comme on visualise celle de Rayforce. Ainsi lorsque l’on commence à avoir quelques heures de vol dans les ailes, on finit par comprendre que les esquives se font dans la partie basse de l’écran, là où tout est plus lisible ; et que l’on ne monte dans la partie haute de la zone de jeu pour anticiper l’ennemi ou entamer un bullet herding. Et puis, à force de voir le réacteur du vaisseau, de l’avoir systématiquement sous le nez, on finit par faire le lien avec cette vue en plongée. Oui, la hitbox est là sous vos yeux depuis le début, c’est bien le réacteur des R-Gray qui fait office de point névralgique. Le masque de collision devient apparent et s’excentre car le rapport à l’espace de jeu a obligé les développeurs à se diriger vers cette solution. Et cette nouvelle règle est bien le fait de Taito.
L’histoire des shooting games continue
Vous commencez à saisir ? Prendre du recul, regardez derrière soi et réfléchir à l’évolution des Shooting Games dans son ensemble. C’est pourquoi j’aime l’expression qui dit que l’avenir se nourrit du passé. Dans le cas des shoot’em’up, on oublie souvent de jeter un œil dans le rétro pour mieux comprendre les révolutions qui ont traversé le genre afin de mieux évaluer le chemin parcouru. Une route bien plus longue qu’il n’y parait, prenant source à la fin des 70’s et qui a tracé de nouvelles ramifications à l’orée des 80’s & 90’s. Une source qui n’a pas tarit depuis et qui aujourd’hui encore continue de nourrir la branche pionnière de l’Arcade. Le tronc est solide, l’arbre continue de pousser, les branches s’étendent, et les nombreux fruits qu’il porte sont autant de friandises dont on peut se délecter sans faim… sans fin… Donc joueurs, joueuses, n’hésitez pas à remettre un crédit pour redonner du crédit aux shoot’em’up car c’est avec vous que l’histoire des shooting games continue.
Jolie analyse.
Ca me fait penser à une remarque qu’on fait souvent en Histoire : ce qui est vu à un instant donné comme une révolution est peu à peu absorbé par l’évolution générale du sujet, et les générations suivantes n’y voient plus une rupture mais une lente et régulière progression, tissant une nouvelle toile d’influences et trouvant des familiarités et une séquentialité qu’on n’avait auparavant pas le recul pour déceler.
Pour vous donner un autre exemple « pop », on a ça en science-fiction, par exemple, notamment lorsque le cyberpunk débarque au début des années 80 et qu’il est vu, pamphlet à l’appuis, comme un rejet de nombreuses conceptions narratives et politiques de la SF de l’époque, alors que nous y voyons aujourd’hui les enfants du cynisme de Philip K. Dick et des robots d’Asimov, sur une grande frise linéaire bercée des influences de nombreux auteurs…
C’est un processus réellement fascinant, et c’est pour ça que mettre des trucs dans des cases, c’est pratique pour savoir de quoi on parle, mais ça n’a dans le grand dessein des choses pas grande signification.
A moins de mal interpréter ton propos, j’aime effectivement ranger les choses dans des cases, ou plutôt les ranger à leur juste place. Ensuite que toutes ces petites révolutions soient englobées & portées par un courant plus grand, qui les englobe et les agglomère toutes ; n’enlève à mon sens rien au fait qu’il est important de connaître d’où le courant naît pour mieux comprendre son état actuel. D’ailleurs comment peut-on saisir la force d’un courant sans en connaître les sources ?
Il me semble que dès lors que l’on peut désigner et sourcer une évolution significative, c’est qu’il y a un avant et un après. Si l’idée que toutes les évolutions s’intègrent dans un continuum amoindrit la notion de révolution (ce que souligne très bien l’article justement), il ne remet pas en cause l’idée que l’on peut analyser un champ d’évolution à partir d’éléments historiques bien identifiables. Dans le cas contraire, le propre de la durée serait in fine l’intangibilité ce qui même en métaphasique est difficilement démontrable.
Ce qui est vrai c’est que le peuple occidental est par nature un peuple d’historien et qu’il aime à classifier et à historiciser plus qu’aucun autre peuple. C’est pour ça que lorsque les occidentaux réclament une chronologie pour telle ou telle série, les devs japonais haussent un peu les épaules. Les japonais ne sont pas moins intelligents que nous mais ils s’intéressent d’avantage à la symbolique, à l’insolite et au sens caché des choses.
Un grand merci pour cet l’article que j’ai trouvé profond et très bien écrit !