Des années lumières nous séparent et pourtant sa lumière nous atteint, continue à briller, ou n’est-ce pas plutôt la persistance de ce que fut cette étoile ? Dans un dernier souffle, l’explosion cataclysmique fut d’une telle amplitude que l’intense luminosité qui s’en dégagea équivalait à celle de plusieurs galaxies. L’implosion de son cœur, puis son effondrement, en expulsa la matière formant un rémanent, un voile, une nébuleuse. Et lorsque sous l’effet de la gravitation, la nébuleuse s’effondra, une nouvelle étoile naquit, puis un nouveau système solaire. On dit cela au sujet de la formation de notre système, mais qu’en était-il à l’aube des années 2000 dans la galaxie du shoot’em’up ? Le cœur du genre était en train de se fissurer : hyperspécialisation, transition vers la 3D chaotique, réalisation antédiluvienne dans certains cas, désintérêt croissant des éditeurs historiques… Mais du substrat de ces éditeurs, Konami, Treasure & GRev continuaient à faire briller l’étoile mourante qui dans son dernier souffle implosa, pour donner naissance à la dernière des légendes du shoot’em’up, la dernière des étoiles, la dernière des Supernovas.
Sommaire
Le poids de la tradition
« C’était alors l’ère du VS-Fighting dans les salles d’Arcade, mais là aussi l’offre commençait à s’amenuiser. C’est à ce moment-là que les jeux musicaux ont commencé à dominer le marché, et nous, au milieu de tout cela, nous souhaitions faire « revivre » le shoot’em’up […] Je pense que l’on a un champ de possibilités infinies. Que pourrait-on faire, comment faire en sorte que ce soit nouveau, etc… J’aime à ce que mes idées prennent vies, mais dans le domaine de l’Arcade c’est très difficile. Alors que si c’était un Gradius format console… »
Dit quelque peu dépité Yoro Daisuke, ce à quoi Ashida Hiroyuki rajoute :
« Je le sais bien, mais si quelqu’un me donnait une liberté totale, on serait en mesure de fondamentalement revoir Gradius, enfin j’aimerai m’y essayer. Lorsque l’on vous donne l’aval pour sortir d’un cadre établi, c’est à ce moment-là que de nouvelles choses voient le jour. Mais si l’on vous dit de créer quelque chose de nouveau en honorant de vieilles traditions, alors là tout devient extrêmement difficile. Si je devais faire un nouveau Gradius, je souhaiterais enfin pouvoir briser ce carcan »
Fukkatsu, littéralement renaissance, voilà ce qu’aurait dû être ce Gradius IV, qui n’a pas fait renaître le genre, ni sonner le renouveau du Shooting Game le plus représentatif de Konami. Une institution pour certains, qui aurait dû redorer le blason d’un genre en désuétude par la grâce d’un titre de légende, celui qui en 1985 faisait entrer le shoot’em’up dans l’ère de la modernité : puissance de feu, modularité de l’armement et rythme survolté qui dessinait avant l’heure les rideaux de balles qui se déploieraient au cours des 90’s. Une révolution ! Peut-être était-ce là, la vision qu’en avaient les pontes de Konami, en oubliant que leur légendaire série n’avait finalement pas tant évolué que cela, prisonnière de sa propre tradition depuis 1988. En son temps, l’accueil de Gradius II fut enthousiaste. Après tout, les fans du 1er épisode ne cessaient de relancer Konami qui répondit à la demande comme il put, en prolongeant l’univers du STG de 1985 sur d’autres supports, dont le MSX, qui eut le droit à son lot d’épisodes exclusifs, d’une rare richesse et d’une intensité qui n’avait rien à envier à l’Arcade. Les Nemesis de Gradius. Et tout cela, en continuant à soutenir le support Arcade, avec une suite officieuse (considérée comme un spin-off) en 1986 du nom de Salamander/Life Force, qui en profitait pour simplifier le système de Power-Up, tout en introduisant le jeu à deux simultanément, ainsi qu’un système de respawn automatique rendant l’ensemble plus accessible. L’expérience se voulait plus immédiate, en n’enlevant pour autant rien au challenge, ces fameuses dix loops que tous joueurs & joueuses rêvaient et rêvent encore aujourd’hui de traverser. En l’espace de 3 ans, la nouvelle équipe en charge du 2e volet a eu le temps de laisser mûrir ses idées, les renouveler, comme ce fut le cas avec les équipes de Konami, composées de nouvelles recrues :
« Dans le domaine du shoot’em’up, si l’on se contente de produire des suites continuellement, on finit par craindre de tomber dans les mêmes routines. C’est pourquoi nous n’avons pas tout de suite entamé la production de Gradius II après Salamander, car nous voulions prendre un peu de temps et développer de nouvelles idées […] Le défi le plus difficile à relever résidait dans la ressemblance qu’il devait entretenir avec Gradius, mais en même temps il ne devait pas en être une simple copie. Nous avons donc mis en œuvre tout un tas de nouvelles idées, tout en essayant de conserver l’esthétique « Gradius », et je peux affirmer que nous avons réussi à faire un jeu qui soit suffisamment dur pour les fans, même pour les plus habiles d’entre eux […] Dans notre équipe de développement, nous avons des gens qui ont rejoint Konami simplement car ils avaient joué à Gradius en salle d’Arcade et l’avait adoré. Ecouter leur point de vue sur la série a apporté une nouvelle variété d’idées. L’un d’entre eux nous a fait remarquer que l’essence ou plutôt le « sex-appeal » de Gradius réside dans son élégance et l’intelligence [de son système]. Je pense qu’il faisait référence à l’aspect du vaisseau et des ennemis, mais aussi au système de jeu qui lui donne une saveur si particulière. Dans l’équipe de Gradius II, on compte beaucoup de passionnés de shoot’em’up, il y avait comme la sensation que nous étions tous là, non sans raison. Dernièrement il faut aussi dire qu’il y a eu une recrudescence de joueurs expérimentés et nous avons donc fait en sorte de rendre le jeu encore plus difficile pour eux. C’est un peu comme si les développeurs lançaient un défi aux joueurs. »
Koji Hiroshita, un vétéran de Konami ayant œuvré sur les plus grand classique de la boîte (Twinbee, Contra, Ajax, Super Contra,…), décrit sans s’en rendre compte en cette année 1988, les tares qui vont commencer à gripper la machine à l’orée des 90’s, celles-là mêmes qui vont aussi devenir celles du shoot’em’up dans son ensemble : routine en termes d’esthétique et systèmes, ces fans qui vont devenir une niche, et leur expérience qui finit indirectement par jouer sur un rehaussement significatif de la difficulté ; figeant définitivement Gradius et le genre tout entier dans une caricature de ses propres défauts, au point d’en devenir insignifiant aux yeux du plus grand nombre. Mais en 1988 (et même aujourd’hui) Gradius II reste un jeu équilibré, avec certes sa dose de challenge, sans pour autant qu’il soit insurmontable. Une suite qui renouvelle la série et qui en cimente aussi définitivement les fondements en termes d’esthétique et de level design. Toshiaki Takatori, autre vétéran et programmeur sur Gradius II, note qu’à côté de la division Arcade, d’autres de ses collègues se démènent pour contribuer au développement de la licence sur d’autres supports :
« Je n’étais même pas au courant du développement de Gradius II sur MSX. Il s’est déroulé sur une autre temporalité, et vu qu’il s’agissait d’un autre département, là aussi il ne s’agissait pas des mêmes personnes. Il en allait de même sur Famicom pour Gradius et Salamander. [Au sujet de Gradius II] sur Famicom, je m’y suis essayé et le portage est de qualité. A cette époque, le staff de la division Arcade était très fier de son travail, et nous nous démenions afin de sortir des jeux auxquels vous ne pourriez pas jouer à la maison. Donc… Je ne sais pas trop comment vous dire cela, mais nous n’étions pas spécialement coopératifs avec les équipes en charge des portages console (rires). Cela a justement poussé le staff console à bosser avec encore plus d’ardeur afin de créer des jeux dignes d’un titre Arcade, et vu que la version Famicom s’est avérée géniale, côté division Arcade on s’est dit : ‘’Et merde, ils nous ont bien eu !’’ »
Ils les ont bien eus ou peut-être pressentent-ils que les critères qui régissent le marché des consoles ne sont pas les mêmes qu’en Arcade. Et que d’une certaine façon, même avec ce monument qu’est déjà Gradius, les divisions détachées de l’Arcade ont plus de latitudes pour prendre quelques libertés avec la licence phare de Konami. Moins d’entrave et plus de créativité, voilà ce qui va définir le travail des personnes qui vont venir à officier sur des jeux périphériques, qu’il s’agisse de portages ou bien de titres évoluant en parallèle de Gradius ; tout en partageant une partie de son canevas (Parodius) ou bien une part de son essence en termes de design ou de gameplay (Axelay, Salamander 2). Ce qui n’est nullement le cas en 1989 avec Gradius III, qui recycle nombre de thématique (même tournées autrement) déjà vu dans Gradius II ; mais qui va surtout faire parler de lui pour sa difficulté et sa lancinante longueur, au point de bénéficier d’un mode Beginner comme l’indique Miyoshi Takemasa (Designer) :
« En un mot, LONG ! […] Nous avons intégré ce mode car on a fini par se rendre compte que notre jeu était affreusement dur, on voulait ainsi donner la possibilité de 1CC Gradius, même de façon limitée (nb : on ne parcoure que trois niveaux) »
Il renchérit avec le Lava Stage, un véritable condensé d’ennemis, boulettes et surtout d’éclats de roches volcaniques ne laissant guère de marge de manœuvre dans un jeu si rigide :
« Avec autant d’ennemis et les éclats de laves en plus, tout dans ce stage était une question d’esquive, je pense notamment au petit passage qui précède le boss qui était particulièrement difficile à négocier ».
La notion d’esquive et de skill sont au cœur du développement de Gradius III, mais non seulement le jeu est mal équilibré, mais il est aussi incohérent d’un stage à l’autre dans la gestion des hitbox, qu’il s’agisse des éléments de décors ou bien des ennemis. Le jeu est surtout développé en vase clos par des férus de shoot’em’up qui oublient que le jeu ne se destine pas uniquement à eux, mais aussi à un public plus large.
Le pinacle de l’absurde est atteint avec le Cube Rush, qui à lui seul va cristalliser le problème de Gradius III, tout comme la vision des développeurs symbolisée par Miyoshi Takemasa :
« Beaucoup nous ont dit que ce niveau était infaisable, mais en tant que développeurs nous l’avons nous-mêmes testé et validé sa faisabilité. Donc peu importe le degré de difficulté, je reste convaincu qu’il possible d’en voir le bout […] A l’époque j’avais un très bon niveau sur les shmup et donc j’y jouais énormément. Je me disais qu’en étant concentré et très appliqué, je pourrais voir le bout de n’importe quel jeu. Enfin bon, si aujourd’hui quelqu’un me demandait de retenter cet exploit, je serais bien incapable de le refaire (rires) »
Pourtant c’est bien cette difficulté légendaire, qui dans le courant des années 2000, fait que la communauté ultra spécialisée du STG va se ré-accaparer le jeu, toujours à la recherche d’une difficulté exacerbée. Celle-là même qui commence à rebuter joueuses et joueurs en ce début des années 90, qui vont vite oublier les shooting games le temps d’une partie sur Street Fighter II, jeu qui ouvre la décennie du VS-Fighting.
Et l’arrivée des consoles 32 bits, va non seulement rendre le marché de l’Arcade plus poreux, mais va surtout coller une étiquette vieillotte au genre pionner de l’Arcade qui s’adapte difficilement au saut de la 3D. Gradius est absent des radars au début des 90’s, laissant la voie libre aux frères ennemis (Taito & Irem) qui réussissent la mue de leur licence phare dans le shooting (Darius Gaiden & R-Type Leo), via d’astucieux ajustements pour rendre la formule plus souple et agréable, en suivant le cours de l’évolution du STG avec une hybridation de plus en plus poussée, inspiré du renouveau apporté par les danmakus (Cave), tout en étant encore un minimum à la page sur le plan technique afin de susciter l’attention du public. Pourtant Parodius est encore là pour symboliser, certes de façon loufoque, l’imagerie de Gradius tout en ayant une marge de manœuvre qui n’existe pas dans le monolithique Challenger 1985. Parodique, déjanté et foutraque, Parodius joue sa propre partition en étant tributaire sans l’être, de l’héritage de Gradius, mais surtout pas de ses défauts. Mr Tuskasa, chef de projet sur la série Parodius, témoigne de ce sens poussé de l’équilibrage et de l’accessibilité, ne serait-ce qu’au sujet de la si emblématique P-Up Gauge :
« Nous avons ajouté le choix de l’Auto P-Up Gauge dans Parodius Da !, car je pensais qu’il s’agissait d’une période où le shoot’em’up était en pleine expansion, incluant ainsi une base plus large. Le mode Auto fut ajouté intentionnellement pour tous ces nouveaux joueurs. Le Semi-Auto est une nouveauté propre à Gokujou Parodius. Pour la conversion Super Famicom de Gradius III, sur laquelle j’ai bossé, j’avais secrètement travaillé sur un mode Auto mais qui fonctionnait plus comme un Semi-Auto, car je voulais que le bouton Power Up puisse encore avoir une utilité pour les joueurs. Lorsque je l’ai testé In-Game, je me suis dit « Whoaaa, ce Semi-Auto est super pratique » (rires). Donc pour Gokujou Parodius j’ai voulu que le Semi-Auto devienne officiel. L’idée étant que les nouveaux joueurs, sans la moindre connaissance de ce genre de jeux, débutent avec le mode Auto, puis progressent en Semi-Auto pour finir par jouer en Manuel. Mon but était de laisser le plus grand nombre s’enthousiasmer pour l’univers de Gokujou Parodius et des shootings horizontaux en général »
Le but est alors de ramener dans un genre en marge, une partie du grand public, en simplifiant la prise en main ; ne serait-ce que par la réintégration d’une partie du gameplay de Twinbee avec ses ‘’Bell’’ cloches qui peuvent sortir d’un mauvais pas via certains P-Up. On pourrait aussi parler longuement des nombreux personnages qui vont venir à égayer les suites, avec des armements si meurtriers, que même un(e) néophyte de Gradius peut y trouver son compte. Mais c’est aussi une réalisation si chatoyante et burlesque, qu’elle ne peut laisser indifférente. Une réalisation au caractère affirmée et une bonne dose de fun. Cette vision est peut-être celle qui va faire revenir Gradius (Gaiden) par la petite porte, plus précisément en 1997, sur la très populaire PlayStation. Ce qui va laisser une liberté sans précédent à l’équipe, qui va laisser libre court à sa créativité : réintroduction du mode 2 joueurs à la mode Salamander, possibilité de customiser les slots de la P-up Gauge, apparition de nouveaux vaisseaux aux armement inédits, 2 nouveaux shields, des boss inédits dont un boss rush exclusif à Gradius Gaiden, thématiques & level design richement revisitées… Et toutes les ressources de la PlayStation sont si habilement exploitées, que Gaiden nous offre un Gradius d’une qualité exceptionnelle, caractérisé par une fraîcheur et une inhabituelle dose de fun. Ce qui fait dire à Yamazaki Yukihiro (Programmeur) :
« On s’est bien marrer en travaillant dessus. C’était amusant à faire, plaisant à jouer… en fait la question était plutôt : ‘’Sérieux, je suis payé pour faire ça ? ’’ […] Je veux refaire un Gradius avec toute l’équipe ! Bien sûr ce ne serait pas Gradius IV, mais plutôt Gradius Gaiden II (rires) »
Est-ce une petite pique de la part de Y.Yukihiro, ou une façon de soulever le problème inhérent aux opus Arcade, tributaires d’un héritage si lourd, qu’il en plombe alors le développement de Gradius IV. Ce dernier tient difficilement la comparaison avec l’inventivité de Gradius Gaiden ; mais surtout ne tient même pas la comparaison avec ce qui se fait désormais du côté de l’Arcade mais aussi des consoles de salons, en termes de système de jeu, de scoring system ou encore tout simplement dans l’usage adéquate de la 3D. Gradius IV sent le réchauffé, même sous un emballage de fausses nouveautés. Et ce n’est pas l’affichage 16/9, sa haute résolution (pour l’époque) en 512×384 et l’usage bancal de la 3D qui viennent sauver un navire en perdition. Et Ashida Hiroyuki le reconnaît à demi-mot :
« Je souhaite faire un nouveau Gradius, enfin tant que personne ne se plaint ou se soucie de savoir si c’est un échec commercial (rires) ».
Fukkatsu, une renaissance qui se fera attendre pendant 7 longues années.
Konami et la boîte à Treasure
« On s’est aperçu que ça faisait longtemps que l’on n’avait pas sorti un nouvel épisode de Gradius. On s’est dit que le temps était donc venu de lancer le projet de Gradius V (…) A Konami, on a beaucoup d’employés qui sont de vrais Core Gamer, de vrais fans de jeu vidéo, et ils avaient tous envie de travailler sur un nouveau Gradius. En plus, ils étaient un peu tristes que la série soit au point mort. C’était donc une très très bonne nouvelle ici quand on a lancé le développement (…) C’est vrai que le système de P-up n’avait quasiment pas changé depuis le début de la série. Je ne dis pas que c’est un mauvais système, au contraire, mais si on l’avait gardé, le jeu aurait manqué de variété. Avec le nouveau système appelé ‘’Option Control’’, le gameplay a considérablement gagné en profondeur, c’est pour ça que l’on a voulu changer un peu le jeu à sa base. Au départ, je ne pensais pas que ça allait vraiment changer Gradius tant que ça, mais une fois le jeu fini, on a vraiment eu le sentiment d’apporter quelque chose de neuf, donc quelque chose de bien (…) Quand on a commencé à lancer l’idée de l’Option Control, certains trouvaient que c’était un changement trop radical, qu’on allait peut-être perdre l’esprit de Gradius, mais moi je pensais que l’on pouvait très bien remanier le gameplay en respectant le style de la série, mais c’est vrai que c’était l’un des gros challenge »
A gauche Osamu Kaisai, une personne atypique puisque son parcours est initialement lié (à ses débuts) à la composition de B.O. pour la Famicom et la Super Famicom ; avant de rejoindre définitivement Konami en occupant des postes superviseurs sur les productions maisons. A droite, Yasushi Takano a un parcours plus classique, ayant aussi bien œuvrés sur des productions Arcade (Thunder Cross II, Aliens, …) que consoles (Sparksters, Castlevania Bloodlines,…).
Source : Focus Gradius V, 2004, Game One, Alex Pilot
Dans l’émission Focus dédiée à Gradius V, le producteur Osamu Kasai et le directeur Yasushi Takano, expliquent bien les difficultés rencontrées pour faire bouger ce monolithe qu’est devenu Gradius ; alors même que Gradius IV a été justement boudé en son temps pour son manque évident de nouveautés, avec derrière une équipe qui a dû essuyer les critiques de son échec commercial, alors même qu’elle était prisonnière du poids de la tradition Gradius. Or, l’équipe en charge de l’épisode de 2004 est bien décidée à faire bouger les lignes, et surtout le système de jeu, son Type même :
« Moi, mon préféré, je crois bien que c’est le Type II. Dans Gradius, quand on utilise l’arme Laser, jusqu’à maintenant il était toujours horizontal. Mais avec le Type II, on peut faire pivoter le tir à 360°. C’est ça qui est vraiment une réussite à mon sens. Déjà, quand on en a parlé la toute 1ere fois, je tenais absolument à l’intégrer. Les programmeurs me disaient : ‘’Vous êtes vraiment sûr ? Ce n’est pas Gradius ce jeu-là !’’. Mais c’est une arme qui a un tel impact au niveau du jeu, qu’il fallait absolument qu’on essaie de l’intégrer (…) Ah, c’est vrai que c’est une arme qui marque dès le 1er coup d’œil, c’est une arme qui semble très puissante et elle l’est ! Mais c’est aussi une arme difficile à maîtriser, je pense qu’on a su trouver le juste milieu. Si elle avait été trop puissante, cela aurait brisé l’équilibre du gameplay (…) On ne voulait pas d’un jeu trop facile. Il n’était pas question de faire un jeu qui puisse se terminer vite fait en une heure. C’est pour ça que l’on a un peu corsé la difficulté. Et puis, on commence le jeu avec très peu de crédits, mais à chaque heure jouée, on gagne un crédit supplémentaire (…) »
Et afin de ne pas être prisonniers des regards, des commentaires, mais surtout de la tradition Gradius, le directeur et producteur décident de confier la conceptualisation du jeu à Treasure, dont la réputation est à son paroxysme au début des années 2000 ; après la redécouverte de Radiant Silvergun fin des 90’s, mais surtout après le succès critique d’Ikaruga en 2001, en dehors même du seul spectre des amateurs de shoot’em’up. Non seulement, l’équipe est talentueuse, mais surtout le duo Hiroshi Iuchi & Atsutomo Nakagawa ont un savoir-faire et une expérience dans le STG qui n’est plus à démontrer, mais surtout tout ce petit beau monde connaissait déjà Konami :
« Ils ont fait beaucoup de chose que l’on ne pouvait pas réaliser en interne (…) Ils ont travaillé sur le système de jeu, c’est un peu fort comme mot, mais on peut dire qu’ils ont complètement explosé l’ancien système pour en faire un nouveau. Avec l’Option Control, ils se sont attaqués à la base même de Gradius. Et en plus, ils l’ont fait avec succès. Quand on fait un jeu en interne, il y a beaucoup trop de résistance et de frilosité, mais quand on le fait faire par un studio externe, on peut se permettre plus de choses (…) Si on avait fait le même jeu ici, tout le monde aurait dit « mais qu’est-ce que vous faites, ce n’est pas Gradius, ça ! ». Alors on se met à douter, et c’est un frein à la créativité. En travaillant avec Treasure, on était un peu à l’écart et on pouvait avancer avec eux dans le même sens. Moi personnellement, je suis très content du résultat. »
Pourtant, il y a un peu plus de nuances en ce qui concerne le développement de Gradius V, tant Hiroshi Iuchi est un concepteur caractérisé par la complexité de ses systèmes, mais qui permettent aussi d’offrir une incroyable profondeur et un champ de possibilités à ses jeux, que d’autre productions peinent à égaler. Même, si Ikaruga est antinomique avec ce que je viens d’énoncer, tant il est excessivement carré dans son approche, au sujet de ce jeu, Iuchi nous donne quelques indices quant à sa méthodologie en 2001 :
« Le prototype d’Ikaruga était quelque chose que j’avais commencé à travailler sur ordinateur, comme un point de départ pour Treasure. J’ai tendance à préférer les systèmes rigides, très raides, mais notre programmeur Atsumoto Nakagawa a pensé que le jeu serait bien meilleur s’il pouvait être pratiqué en dilettante et de façon décontractée. On a revu un certain nombre de petites choses pour aboutir à la forme actuelle (…) La première chose sur laquelle nous nous sommes mis d’accord, était le système d’affinité noir/blanc. La première version du prototype était très différente. Il disposait du système d’affinité, mais c’était un système ou vous deviez absorber les tirs ennemis : votre propre magasin de munitions se rechargeait. Cependant l’inconvénient majeur de ce système étaient les coupures qu’il y avait entre le moment où vous tirez et celui où vous êtes à court de munitions (…) Juste après nous avons commencé à nous rapprocher de l’actuelle version, et nous avons essayé un nouveau système dans lequel absorber des tirs, réduit votre force de frappe. En fin de compte, après m’être entretenu avec les programmeurs, nous avons décidé de faire les choses de la manière la plus simple qui soit, et après un affinage du gameplay, nous sommes partis sur le système actuel d’Ikaruga. »
Interview du producteur Yasushi Takano dans le DVD Gradius V Breakdown (2004)
De fait, les gens qui l’entourent ont tout à fait conscience des talents du personnage, de ses capacités et de son très fort ancrage dans la communauté des superplayers japonais ; mais aussi de sa propre limite, soit son art de la complexification des systèmes, comme l’explique Yasushi Takano (Producteur) dans le DVD « Gradius V Breakdown » :
« Durant la période de planification, pour le concept initial, je bataillais pour obtenir un système dans lequel les power-up changent dans la P-up Gauge en cours de route. Par exemple, après avoir obtenu le missile, alors un nouveau P-Up deviendrait accessible : le 2-Way Missile. Mais… Cela n’apportait pas tant de variation [au concept originel]. C’est pourquoi nous avons décidé de scinder les P-Up. Franchement, ce n’était pas une si mauvaise idée en soi. Le Laser devenait un Ripple, le Force Field se transformait en un simple Shield, on pouvait choisir le type d’Option,… On donnait beaucoup trop de liberté à l’utilisateur, nous avons donc fini par abandonner cette idée. Ce n’est pas comme si l’on continuait à se dire ‘’Il faut le faire, il faut le faire,…’’. Au contraire, il s’agissait plutôt d’affiner très précisément notre objectif. Ainsi, cela permettrait dès le début de bien équilibrer la version finale [du jeu] »
L’abandon de cette P-Up Gauge évolutive qui a chaque cycle, transformait un module type (Missile / Laser / Double / Option / Shield) est à la fois une idée géniale ; car elle aurait certainement donné un large éventail de possibilités pour les joueuses/joueurs aguerri(e)s en fonction des séquences de jeu. Mais elle se confrontait à une autre réalité, à savoir qu’il fallait se faire à la nouveauté de l’Option Control, qui à elle seule, bousculait les fondements de Gradius. Mais derrière, se posait aussi la question de l’équilibrage, en demandant si cela n’aurait tout simplement pas cassé la difficulté du jeu, en jouant sur des changements judicieux d’armements au moment opportun. Si l’on apprend, qu’étonnement, Gradius V aurait pu faire l’objet d’une version Arcade (nb : abandonnée faute de temps), on pourra s’interroger quant à la paternité des idées, tant Hiroshi Iuchi est une personne qui en l’espace de quelques jeux, a bousculé bien des conventions du shoot’em’up. Je vous laisse seul juge quant à savoir, qui de Takano ou Iuchi est à l’origine de Gradius V, qu’il est à présent temps d’aborder.
GRADIUS V
Jeune j’étais, jeune était la communauté, jeune était cette boutique rétro’ du nom de J-Type, tenue par un certain H.Falcon du côté de la Rue de Charonne à Paris 11e. Était-ce lors de la 1e ou lors de la deuxième « J-Type Session » dédiée aux shoot’em’up que mon regard hallucina à la vue du dernier née de Konami ? La seule chose dont je me souvienne, c’est l’ampleur et le volume de la partition d’Hitoshi Sakimoto, tandis que les deux Vic-Viper T-301 volaient à toute allure dans le feu de l’effondrement d’une gigantesque structure, entrant dans l’atmosphère de Gradius, menaçant une nouvelle fois la paix dans cette galaxie. J’étais jeune, et jouant du jeu, je redevenais plus jeune, retrouvant le regard de celui qui en 1989, écarquillait les yeux devant les péripéties du Vic Viper dans l’insondable et inquiétant univers de Gradius. Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, l’essence du mythe et de la légende de Gradius renaissait dans un dernier éclat de lumière.
Select Weapon Array
Un V romain dézoomant dans un éclat bleuté électrique, saillant sur ce fond noir, à l’image de l’emblématique Laser du Vic Viper fendant le vide spatial, se fondant élégamment sur cette typo si caractéristique du Challenger 1985 : Gradius V. Le Vic Viper, enlacé et enlaçant l’écran de ses Laser courbés, donnent le ton de ce qui nous attend, comme si une bascule s’opérait ; tandis que les sonorités et une voie électronique que l’on croirait échappée d’Ikaruga vous enjoint à choisir un Type, une configuration d’armement, mais surtout un ‘’Option Control’’ qui est le ‘’Core’’ de ce nouveau Gradius. Le fonds étoilé, la profondeur de champs et la planète bleue de cette autre galaxie cristallise à elle seule cette imagerie si propre à Gradius et aux origines du shoot’em’up, à nouveau lancé dans une nouvelle aventure intersidérale dans les lointains confins d’une voie lactée.
Les nouveaux types nous semblent familier, tout comme l’imagerie qui l’accompagne, mais les illusionnistes ont l’élégance de cacher leur art afin de le sublimer et nous surprendre de plus belle. Si les 4 P-up Gauge ne sont pas sans évoquer la sélection type de Gradius II, c’est dans l’Option Control que se cache l’illusion, la subtilité et les nouvelles nuances qui vont infuser dans ce nouveau Gradius : Freeze, Direction, Spacing, Rotate. Si l’on s’attarde sur les deux derniers types, ce sont ceux vers lesquels la plupart se sont automatiquement tournés, puisque le Spacing est une mécanique directement issue d’une vieille gloire des 80’s, Thunder Cross I & II ; tout comme le Rotate qui émane des incarnations micro MSX et consoles de Gradius. Une astucieuse façon de ne pas trop déstabiliser les aficionados en introduisant avec un Option Control familier, une compréhension des enjeux de ce nouveau type de contrôles, tout en saisissant comment ils s’intègrent dans le level design ; comment en jouer et en tirer un réel plaisir, en renouvelant de fait l’expérience Gradius.
Le Type III Spacing est presque un choix par défaut, car le plus simple à saisir et à intégrer mentalement, puisque que les options (une fois la touche Option Control pressée), se contractent et se rétractent sur l’axe vertical du Vic Viper. Une façon simple de comprendre qu’avec tout juste deux options, il est possible de couvrir aisément une large zone de tir sur l’ensemble de l’écran, tout en profitant de cet espacement pour racler les parois bardées de tourelles et de duckers (nb : mécha bipèdes). Mais on se rend vite compte que le Spacing présente deux défauts, d’un que la contraction/rétraction des options n’est pas spécialement réactive ; mais aussi qu’en cas de perte d’une vie (même avec le respawn), qu’il est difficile d’aller récupérer ses options, surtout dans des séquences au level design particulièrement alambiqué. Mais il reste une bonne introduction et offre une immédiateté que ne proposent pas les autres types, mais qui en est aussi sa propre limite compte tenu la complexité du level design et des nombreuses séquences retords réclamant une bonne réactivité.
Le Type IV Rotate, s’il couvre un espace moindre que le Type III ou II, avec la rotation des options autour du Vic Viper, offre un aspect défensif intéressant dans les stages au level design resserré et une malléabilité qui permet très vite de repartir sur un contrôle standard des options. Outre le fait, que l’aspect ‘’cocon’’ de cette formation permet (en cas de perte) d’une vie de très vite récupérer l’intégralité de ses options lors du respawn. La seule contrainte étant que la formation ne devient véritablement effective qu’à compter de la validation d’une 3e option. Toutefois à la différence des autres Option Control, le Type IV offre une subtilité qui lui est propre, sachant que lorsque vous appuyez une nouvelle fois sur le bouton de contrôle, vous cassez l’animation de rotation. Les options reviennent au centre du Vic Viper et ré-entament un cycle de rotation dans le sens horaire ou anti-horaire (en fonction du précédent cycle). Mais si vous martelez le bouton, afin de systématiquement casser l’animation de rotation, il devient ainsi possible de centrer et bloquer parfaitement les options au centre du Vic Viper pour viser un point précis ; ou bien en le faisant lors d’un déplacement vertical de maintenir les options en ‘’cheminée’’. Difficile de savoir si cet usage alternatif avait été envisagé en amont, mais il s’avère que bien souvent, joueuses & joueurs, dépassent les limites d’un système afin de l’envisager d’une autre manière. Là encore, ce type reste une bonne introduction, même s’il suppose d’aller un peu plus au contact des décors, notamment dans les stages peu cloisonnés ; mais à l’inverse, dans des environnements claustrophobiques, il sera d’une aide précieuse.
Le Type II Direction est celui qui a, à la fois vendu le jeu, par son aspect visuel sensationnel, mais surtout le concept même de l’Option Control, montrant le nouveau chemin qu’allait prendre Gradius V. De fait, il est d’une efficacité meurtrière, puisqu’avec une seule option vous pouvez visez n’importe quel point dans une rotation à 360° du tir, tout en profitant de l’effet ‘’balayage’’ (surtout avec le Laser activé) pour nettoyer l’ensemble de la zone de jeu. Si la réactivité du contrôle est d’une incroyable célérité, la contrepartie étant que le Vic Viper est immobilisé durant la manœuvre, coupant ainsi court à toute manœuvre d’esquive en parallèle de l’activation de l’Option Control. Une limite qui entrave grandement un travail en profondeur du jeu dans les loops avancés, selon les termes de Ben 忍 dans le dossier Challenger 1985 : ‘’Je dois reconnaître que le type 2 en mettait vraiment plein la vue avec la rotation des 4 lasers à 360 degrés […] Avec cette possibilité de tirer au 4 coins de l’écran, le jeu « semblait » plus facile. L’impossibilité de bouger le Vic-Viper pendant les phases de directions ne posait pas trop de problème au début. Cependant, lorsque j’ai commencé à aborder le 2nd loop, les « bullet suicide » m’ont fait prendre conscience que la difficulté allait très vite se corser avec de nombreuses esquives supplémentaires et inexistantes au loop 1 […] Mais le nombre de « bullet suicide » à partir du loop 3 a remis en question l’efficacité du type 2. A partir du loop 3 et au-delà, il fallait aussi prendre en compte le nombre supérieur d’ennemis mobiles sur les parois ainsi que la cadence de tirs des canons qui augmentaient considérablement’’. Le rapport paradoxal de ce Type quant à l’impossibilité de se déplacer durant l’opération de contrôle pourra jouer de mauvais tours, mais le fait de pouvoir jouer de façon efficiente dès l’activation de la 1e Option, en fait aussi une arme efficace.
Le Type I Freeze est le moins évident à prendre en main, car le plus technique dans l’usage mais aussi le plus versatile, et surtout celui qui sur le long terme, dans les loops avancés, est le plus polyvalent dans des situations chaque fois plus complexes. Finalement le Type I répond à un vieux rêve, bloquer la position des options et la remodeler en fonction des situations, revenant à l’idée maîtresse de l’épisode de 1985, la modularité qui s’applique ici à la formation des options. Il devient ainsi possible de parer à toute éventualité, de reconfigurer sa formation de façon très naturelle et réactive : offensive, défensive, évasée, … Voir même de profiter des angles morts sur les boss pour directement viser les ‘’Core’’ en passant outre la destruction des barrières qui protègent leurs points névralgiques. De fait, toutes les configurations possibles et imaginables peuvent prendre forme, mais c’est bien l’aspect ‘’libre’’ de cet Option Control qui le rend d’autant moins évident à prendre en main ; avec toutefois derrière un gain incomparable sur le long terme, comprendre dans les loops avancés, une fois qu’il est parfaitement maîtrisé.
Introduire une nouvelle nuance dans le gameplay monolithique de Gradius n’est pas tout, car il doit imbiber le jeu en se fondant dans le level design et les situations de jeu, car comme le dit Ben 忍 Shinobi : « En analysant le level design de Gradius V, on peut très vite se rendre compte que chaque zone du jeu a été pensé pour convenir à un type de contrôle d’option bien particulier ».
Et si Gradius V brille autant par cette nouvelle idée de gameplay, il en va tout autant de son architecture et de sa réalisation.
Gradius V par Hidetaka Tenjin : Pour certain(e)s ce nom ne vous sera pas totalement inconnu, puisqu’il est souvent associé aux illustrations qui ornent les models kits de Bandai & Hasegawa sur des licences de méchas japonaises connues dans le monde entier : Gundam, Macross, Patlabor… Il est à l’origine de l’illustration qui décore le packaging de Gradius V, Konami ayant fait appel à ses services compte tenu de sa forte popularité chez les amateurs de maquettes japonaises.
Dans une interview donnée à Game Watch le 25 juin 2004, il revient brièvement sur la composition de la jaquette de Gradius V. A la question de ce qui fait « l’esprit » de Gradius, ce dernier à l’image du Laser, et, en voyant pour la 1e fois le 5e épisode tourner en vidéo ; il a été surpris par l’allure courbée des lasers, vu qu’il n’avait pas retouché à la série depuis Gradius II. Il s’agissait du Type IV et c’est cette formation, tout en courbure que Mr Hidetaka Tenjin a voulu retranscrire dans cette illustration, tout en respectant son propre style, en donnant corps et réalité au Vic Viper.
Impregnable Fortress
Si l’illustration de l’écran titre est tout en courbure, il en est tout autant de ce départ à haute vitesse, catapulté du satellite de défense de Gradius : l’arrondi des longs corridors, la trajectoire de la caméra virevoltant à 360° ; les premiers reflets bleutés de la planète mère laissant entrapercevoir l’immensité lumineuse de la mer spatiale qui va être la première et l’éternelle rampe de lancement de votre nouvelle péripétie interstellaire. L’entrée en la matière donne le ton par la finition ‘’Ikarugesque’’, dans un entremêlement géométrique de structures d’une élégante froideur, dans la continuité de ce minimalisme propre à l’univers de Gradius ; mais sublimé par l’un des nombreux transfuges de G-Rev, Hideyuki Kato, dont on reconnaît aisément la patte sur les arrière-plans, caractérisé par une géométrique symétrie aux vues de ses précédents travaux dans ce domaine (Rayforce, Raystorm, Ikaruga, Border Down, …). En dépit d’un scintillement prononcé, la finition des modèles 3D donnent une tonalité militariste (et de fait moins fantaisiste) à l’armada de vaisseaux, croiseurs et autres armes de destruction. Mais c’est surtout la façon dont tous ces modèles, s’agencent, bougent et s’intègrent dans les différentes strates décors, tout en usant par moment d’effet de déformations sur les quelques éléments en 2D, qui offrent ce sentiment d’immensité.
On peut par exemple penser à la destruction Big-Core MKI Rev.2 lors du 1er stage, qui semble s’effondrer dans l’atmosphère de Gradius par un habile effet ‘’d’aspiration’’ sur le modèle du boss et de la planète Gradius. Ici la 3D n’est plus un accessoire anecdotique, à l’image de son usage enfantin dans Gradius IV, mais bien un outil parfaitement maîtrisé qui apporte enfin cette touche spectaculaire, cette liberté de mouvement, cette notion de profondeur et grandeur qui manquait tant à l’inébranlable hit de 1985, qui peut enfin déployer ses ailes à l’ère de la modernité. Une tâche qui n’a pas été confiée à n’importe qui, puisque ce travail de fonds en termes de programmation et de gestion du moteur 3D est la combinaison de l’un des architectes de Radiant Silvergun (Atsumoto Nakagawa, Treasure) et de l’une des têtes pensantes de G-Darius (Masakazu Takeda, G-rev). Et de fait, Gradius V tout en conservant un aspect linéaire dans son déroulé, casse régulièrement cette linéarité en désaxant la caméra pour souligner l’ampleur des décors ou d’une structure, à l’image de l’entrée dans l’inquiétante masse (faite de chair) du Bacterian Cell Center (St.4) ; ou lors de l’affrontement contre l’Elephant Gear de façon à mettre en exergue la monstruosité et le poids du dernier mid-boss du 7e stage, ou lors de la descente vertigineuse dans la ville souterraine de Gradius, alors qu’une Ground Spider vous poursuit, soulignant le rapport inversé des forces en jeu. Et même lorsqu’un niveau reprend les railles de la linéarité, on observe qu’il y a régulièrement quelque chose en mouvement dans l’arrière-plan : La masse graisseuse Bacterian Cell Center (St.4) ondulant, les rampes de lancement de têtes nucléaires en rotation lors du 1er boss rush à la fin du 2e stage, ou encore les immenses astéroïdes et plateformes de défense en fonds qui peuplent la 1e ligne de défense des forces ennemies dans le 5e stage.
L’immensité est au cœur de Gradius V, lumineux à l’image de ce festival d’effets pyrotechniques, mais aussi tortueux, voir labyrinthique et retors dans une forme de continuité à la série ; si ce n’est que tout ici est ‘’level designé’’ pour tirer partie de l’Option Control, tout comme ce nouvel épisode fait sien les codes de ses contemporains. La fluidité est de mise dès le début, même sans speed up, mais surtout on se rend très vite compte de la marge de manœuvre du Vic Viper T-301 dans les niveaux ; suite à une réduction considérable de la hitbox, permettant au jeu de respirer et surtout de laisser libre court à des affrontements et situations encore plus complexes qu’à l’accoutumé. Cela est notamment visible lors du 1er boss rush, où les très familiers Death Core, Tetran et le Big Core MK-II reviennent avec leurs patterns usuels, mais aussi un nouveau ‘’set de patterns’’ qui lorgne clairement vers le danmaku, donnant une intensité et nervosité que l’on n’avait pas connu jusque-là. Et la turbulente traversée de l’Asteroïd Front Base (St.5), en est une démonstration, avec son boss qui avoine des mitrailles de tirs, tandis que vous cherchez désespérément à vous réfugiez derrières les blocs épars d’astéroïdes qui vous prennent à contre-courant.
Ce qui aurait relevé de la gageure dans les précédents épisodes, devient ici possible, du fait ; à la fois de l’Option Control qui permet de juguler le jeu, mais aussi par l’apprentissage des limites de votre Type et avatar via une difficulté qui se veut plus progressive qu’à l’accoutumée. Si le 1er stage est suffisamment ample pour se faire la main avec ce nouveau gameplay, dès la 2nde moitié du 2e stage, joueuses & joueurs devront apprendre à naviguer dans de fins corridors, afin de délimiter la hitbox et comprendre comment user de son Type pour se frayer un chemin. Dès lors que l’on affronte ce premier mur, le reste du jeu paraît logique, construit de telle façon à mettre (comme de coutume) vos nerfs à rudes épreuves, tout en restant très carré dans son approche. Même si certains moments d’anthologies sortent du lot, et ils sont nombreux, seront là pour vous déstabilisez, faire dérailler votre esprit, jouant de votre froide concentration pour vous bousculer jusqu’au bout : L’Astéroid Front Base (St.5) et son champ d’astéroïdes qui chercheront à vous broyer ; la Bacterian Mutiplication Plant (St.6) pivotant dans tous les sens, cherchant à vous inonder et vous prenant à revers dans un scrolling inversé et le marathon que représente le Bacterian Fortification Center (St.7), un labyrinthique puzzle entrecoupé d’affrontements face aux boss les plus vicieux du jeu.
Gradius V célèbre Gradius, alors même qu’il s’est vu reprocher de s’en éloigner faisant fi d’éléments iconiques tels que le Volcano Stage ou les sempiternels Moais. Alors même que son fan service se veut plus subtil, convoquant l’ensemble de la galaxie Gradius, piochant aussi bien dans les épisodes Arcade, consoles, que micro-ordinateurs ; distillant élégamment ces nombreux clins d’œil mais immortalisant aussi l’antagoniste originel de 1985 : Le Big Core. Un festival, une pluie, une armada comme on n’en aura jamais vu. Mais Gradius V marque aussi le retour du roi, celui qui instilla une nouvelle vivacité au genre en 1985, celui qui commençait à dessiner des rideaux de balles avant l’heure, celui dont la graine de modernité viendra à éclore dans la décennie des 90’s et dont Ben 忍 a saisi toute la portée :
« Lorsque j’avais commencé à parler de « manic / danmaku » en 2004 au sujet de ce jeu, beaucoup m’ont ri au nez, car ils ne dépassaient pas le premier loop, qui est assez « timoré » en termes de tirs. Néanmoins, le but d’Hiroshi Iuchi en diminuant la hitbox, correspondait à une volonté de voir ce jeu évoluer dans les loop avancés, avec une quantité de tirs similaires à n’importe quel shoot CAVE. Le 1er loop aurait été tout à fait jouable avec une hitbox 2 ou 3 fois plus grosse, mais cela devenait impossible à partir du 4ème ou 5ème loop. Moi qui n’ai jamais apprécié à sa juste valeur le danmaku, pour des raisons de déséquilibre entre la précision des patterns de tirs et celle des patterns d’esquives, je peux maintenant apprécier précisément cette épisode de Gradius comme un « Gradius Manic Shooter ». »
Un passéisme empreint de nouveauté, une modernité antédiluvienne, un paradoxe temporel.
Big Core
Et la bande-son est à l’image de Gradius V, à la fois familière mais autre, par un rafraîchissant renouvellement de l’ambiance musicale. En abandonnant les sonorités pétaradantes et les fanfares ‘’Konamiesque’’, elle adopte une tonalité plus sérieuse, tout en nuance et en hybridation des sons, tout à la fois orchestrale et grandiose dès qu’il s’agit de souligner l’immensité du cosmos ; mais aussi en sonorités électroniques, technoïdes en cadences robotiques, dès que le Vic Viper s’engouffre dans les nombreux complexes militaires Bactérion. Hitoshi Sakimoto est à la fois indissociable de Treasure et Iuchi, car il est la ‘’Partition’’ de Radiant Silvergun, mais aussi d’un certain nombre de shoot’em’up de légende tels que Shippu Mahou Daisakusen ou encore Soukyugurentai. En parlant de Souky’, le vétéran Yuichi Sotoyama dit de ce dernier :
« Il y a de nombreuses partitions dans lesquelles on peut sentir la touche très personnelle de Sakimoto. Il a travaillé dur pour que ses compositions se calquent sur la progression des niveaux, et que la musique soit entièrement synchrone avec ce qu’il se passait à l’écran […] Sakimoto semble aimer la science-fiction et tout ce qui touche à l’espace. A un moment, je suis passé chez lui, et l’une de ses pièces était remplie d’affiches de vaisseaux spatiaux, et il aimait bien la NASA aussi. Quand je suis venu le voir en lui demandant de s’occuper des compositions de Soukyugurentai, la première chose qu’il me dit fut : ‘’ J’ai attendu si longtemps pour faire de la science-fiction ! Je mourrais d’envie de faire quelque chose comme ça ! ’’ »
Gradius V ne pouvait donc atterrir dans de meilleures mains, tant Gradius, par son esthétique et sa genèse entre en résonance avec la SF des années 80, et plus particulièrement avec celle de l’animation japonaise ; le Lensman de Yoshiaki Kawajiri (1984) ayant été la principale source d’inspiration des design définitifs de l’épisode de 1985. Ainsi, dans une interview donnée en 2010 au mook STG Gameside Vol.1, Sakimoto se décrit comme l’un de ces nombreux gosses des Game Center, qui au début des années 80, cramaient leurs crédits dans des bornes d’Arcade. Et dans son cas en particulier, dans un genre bien spécifique, le shoot’em’up. A la question de savoir, quelle est sa méthodologie pour composer ses B.O. pour les STG, il donne l’explication suivante :
« Faire en sorte que la musique ait quelque chose de dramatique, avec de petites ou larges embardés dans le flow du son. Quand vous jouez à un shooting game, vous êtes tellement concentré que le temps semble s’écouler plus lentement, et en combinant cet aspect-là avec l’introduction de brèves ondulations dans le flow de la musique (…) sa perception en devient beaucoup plus claire, plus nette. J’essaie de donner ce sentiment aux joueurs avec de grands effets dramatiques (…) Je sais que cela peut paraître contradictoire, mais je me base sur ma propre expérience de joueur de shoot’em’up… Il est ardu de vous en donner une explication théorique (…) Mais à l’époque où je jouais régulièrement, j’entrais dans un état de trance complet en cours de partie, et j’aimerai être ‘’cette musique’’ qui amène les gens dans cette zone de trance et qu’ils s’immergent totalement ».
Dans une autre interview réalisée par Boulapoire le 16 avril 2013 pour Gamekult, Sakimoto fait une remarque intéressante au sujet de Radiant Silvergun :
« Personnellement, j’aime les bandes sonores assez techno dans ce genre de jeu, ça colle plutôt bien dans l’ensemble. J’étais donc étonné d’avoir une telle requête de la part de la direction et j’ai demandé plusieurs fois s’ils étaient bien sûrs de vouloir un style plus orchestral et complexe pour un shoot. [C’est] à partir du moment où la décision a été prise, que l’on posé les bases de ce à quoi devait ressembler la musique »
Toute la trame sonore de Gradius V tient à cette contradiction, mais aussi à l’expérience et la maturité du son d’Hitoshi Sakimoto, toujours à mi-chemin entre des orchestrations composées d’instruments classiques, donnant une élégante texture au son, mais aussi une couche de solennité propre au Space Opéra ; mais aussi des sonorités plus archaïques et technoïdes renvoyant à la genèse du genre, mais aussi à ce chant d’expérimentation que fut la musique électronique, elle aussi partition d’une vision futuriste du son, et par extension, aussi à même de dessiner une vision sonore de cette SF si chère à Sakimoto. Le premier niveau donne le ton avec un thème aux sonorités alarmantes décrivant l’urgence de la nouvelle invasion Bactérion, se temporise par un calme relatif lorsque vous sortez du satellite de surveillance dans l’orbite de Gradius, avant de repartir dans un tempo toujours plus haletant à mesure que vous vous frayez un chemin dans la masse des Zelos ; avant qu’un inquiétant thème par son imposante densité sonore n’introduise le boss. Comme l’indiquait Yuichi Sotoyama au sujet de Sokyugurentai, Sakimoto calque ses thèmes sur le déroulé et la mise en scène des niveaux afin de d’appuyer les moments fort de chaque stage, que l’on pourrait presque découper en chapitres sonores, tout en modifiant régulièrement le flow du tempo afin de mettre en exergue la texture, l’habillage et la structure des niveaux.
A l’image du travail d’Hisayoshi Ogura sur Darius Gaiden, la B.O. d’Hitoshi Sakimoto pour Gradius V fait corps avec le jeu, il est le jeu et renchérit cet état de trance qu’il arrive à susciter, de telle sorte que l’on devient prisonnier du son et donc du jeu. Ce sens du découpage qui pose et expose les différentes partitions musicales, se ressent aussi dans la scission entre les thèmes orchestraux et électro. Le son technoïde insuffle par son rythme mécanique, l’énergie portant le Vic Viper T-301 dans les affres des rudes combats dans les avant-postes Bactérion ; tandis que les orchestrations portent par leurs envolées lyriques, les grands moments du jeu, entre une forme d’émerveillement, grandeur et d’éblouissement ; surtout lors des Boss Rush, où les thèmes classiques de Gradius reviennent de plus belle, regénérés à l’image de Gradius V, ou avec la fugace réintroduction de la ligne mélodique de Challenger 1985 dans l’Opening qui souligne aussi le paradoxe temporel du 2e et 8e stage. Par ce travail, Hitoshi Sakimoto déploie sa propre énergie qui revitalise le son du mythe Gradius, tout en créant une passerelle temporelle avec le travail de la pionnière de Konami, Miki Higashino, qui fut l’une de ses sources d’inspiration à l’époque même où ce dernier se lançait dans le métier.
Une bande son revitalisée, renouvelée, en somme, un acte de renaissance.
Universe
Fukkatsu… Kaisai, Takano, toute l’équipe, et surtout Hiroshi Iuchi ont réalisé le souhait des développeurs de Gradius IV. Fukkatsu, littéralement renaissance, voilà ce qu’est Gradius V, lui qui a revitalisé et renouvelé à l’aube des années 2000 le Shooting Game le plus représentatif de Konami. Une connexion temporelle entre le passé et le présent, encore aujourd’hui, tant le jeu parait si actuel, si moderne, si parfait. Il n’empêcha pourtant pas l’effondrement du genre dans l’explosion de cette Supernova que fut Gradius V, mais sa rémanence, sa matière, son voile nébuleux donneront ; nous n’en doutons pas, naissance à une nouvelle étoile.
Sources
- https://shmuplations.com/
- DVD Gradius V Breakdown (2004)
- Focus Gradius V (2004, Game One, Alex Pilot)
- https://gradius.fandom.com/wiki/Gradius_V
- https://www.gamestone.co.uk/gradiushomeworld/
- https://game.watch.impress.co.jp/docs/20040625/grav.htm
- https://www.gamekult.com/actualite/interview-hitoshi-sakimoto-basiscape-112244.html
Special Thanks à Ben 忍 pour le partage de ses archives Game One(sque )
De la légende au mythe, aux origines,
Prochainement
Super article ! On est vraiment pris dans le récit. Mais que sont donc devenus les devs de Treasure ? Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls devs de schmups à avoir disparu de la circulation au début des années 2000…