A ce jour les liens qui unissent Project Gun Frontier II à la série Darius sont plus qu’évidents, mais pourquoi dès lors prendre la peine de revenir sur Gun Frontier premier du nom ? Surtout que pour le coup, on parle d’un shoot’em’up radicalement différent en termes de représentation, d’univers et de gameplay. Toutefois, vous me pardonnerez cette lapalissade, il précède Metal Black mais fut surtout produit et développé par un seul et même individu : Senba Takatsuna.
Une personne que j’avais déjà évoqué dans la 2nde partie de la Darius Cosmology, et dont l’impact sur les futures productions Taito, plus particulièrement dans le domaine des Shooting Games, va être décisif. Le but n’est pas forcément ici de revenir en détail sur Gun Frontier, mais plutôt d’évoquer en filigrane le parcours atypique de son créateur, l’histoire des cartes Taito-F qui prendront justement leur envol grâce à ce projet, le champ d’expérimentations graphiques qu’elles représenteront ; mais surtout la source d’inspiration que sera ce titre pour nombre de créateurs : Yukio Abe (Rayforce), Hidehiro Fujiwara (Darius Gaiden), Shinobu Yagawa (Battle Garegga),…
Gun Frontier est l’un de ces titres mésestimés et encore aujourd’hui peu reconnu dans l’histoire des Shooting Games, alors qu’il fut le terreau pour un certain nombre d’idées qui irrigueront les futurs hits de Taito, et dans une moindre mesure le genre lui-même. Et indirectement ce jeu s’inscrit lui aussi dans l’histoire de la saga Darius.
Sommaire
[A.D. 1981-1990] Take Off
« Ma motivation principale pourrait se résumer à quelque chose comme : Je veux jouer à Space Invaders à la maison ! Space Invaders, La Guerres des Etoiles (Episode IV), ou encore Kidousenshi Gundam sont apparus à la fin des années 70. Et tous les magazines d’informatique proposaient des articles dédiés aux jeux tirés de ces licences. »
dixit Toyama Yuuichi, Directeur général d’Eighting (2010 – Shooting Gameside Vol.1)
Senba Takatsuna est de ceux, qui comme Toyama Yuuichi, a mangé de plein fouet ce triptyque de la SF qui frappa le Japon à l’aube des années 80. Les plus rêveurs et passionnés se dirigeront vers l’animation ou encore le jeu vidéo. Takatsuna va voguer dans ces deux domaines en l’espace d’une décennie :
« Je suis de cette génération qui fit son entrée dans l’industrie de l’animation suite à l’énorme impact qu’eut Gundam dans le paysage audiovisuel ».
Mais au début des 80’s c’est au studio Z5, un petit sous-traitant dans l’animation, qu’il fait ses premiers pas à tout juste 19 ans sous la tutelle de Hideyuki Motohashi. L’un de ces travailleurs de l’ombre au curriculum particulièrement fourni, et aux talents protéiformes, qui va lui apprendre les rouages du métier en tant qu’animateur clé ; celui qui donne l’impulsion à l’animation en déterminant les étapes clés, comme le mouvement d’une scène ou des personnages, notamment leurs jeux ou encore la dynamique des éléments (décors, véhicules, objets). En somme il est celui qui insuffle la vie lors du processus créatif.
Sakuga de Galaxy Investigation 2100: Border Planet
Takatsuna participe pour le compte du Studio Z5 à un nombre incalculable de classiques des années 80 qui ont alimentés aussi bien la TV japonaise que les chaînes de l’hexagone. Il gagne ses galons d’animateur sur des travaux tels que l’adaptation TV du manga What’s Michael ?, l’OAV Grey-Digital Target, mais sa contribution la plus notable reste sa participation, comme l’un des directeurs de l’animation, au film Mobile Suit Gundam Char’s Counterattack en 1988. Il va plus particulièrement s’occuper du comportement et des mouvements des Mobiles Suits (nb : Méchas), en apportant un soin particulier à tous les effets de propulsions (réacteurs, verniers, …), décrivant de longues trainées desquelles se dégagent des particules lumineuses du plus bel effet.
Sakuga de Mobile Suit Gundam: Char’s Counterattack
Toutefois il finit par se retirer de l’animation après ce film. Il ne supporte plus le stress, ni la surcharge de travail qui lui laisseront même une séquelle physique, un dysfonctionnement de l’une de ses mains. Dans une interview donnée au mook Continue Vol.1 (Otha Publishing), il dira simplement : « C’en était de trop. »
Toutefois l’homme rebondit et atterrit l’année même chez Taito. Son expérience dans l’animation l’amène naturellement à occuper un poste de graphiste. Toutefois c’est vers le game design qu’il souhaite s’orienter, poste qui pourrait presque faire penser à celui qu’il occupait comme directeur de l’animation quelques mois auparavant :
« En toute honnêteté, j’avais auparavant uniquement occupé des postes de graphistes chez Taito, mais aucun dans la production. Lors de mon embauche, je désirais avant tout travailler dans les pôles en charge du game design, mais je fus assigné à un groupe de designers. Cependant, j’avais commencé à cumuler un peu d’expérience dans un autre domaine. Il y eu d’abord la planification des tâches dont j’étais en charge sur Darius II, ainsi que tout le travail de révision dont je m’étais occupé pour Battle Shark durant un mois. Le développement de ce titre avait tout de même pris un an et demi. J’avais aussi participé à une douzaine de réunions de planification, et grâce à cela j’avais fini par gagner la reconnaissance du responsable du département. »
De fait Senba Takatsuna est un bosseur acharné aux multiples talents. Il gagne très vite la reconnaissance de ses collègues. C’est surtout à compter de Darius II qu’il monte en grade et où l’on peut sentir sa patte : un mécha design organique au trait ciselé et un goût prononcé pour les effets qui font vriller le regard. Les modules nucléaires de Sagaia sont un exemple parmi tant d’autres. Déformation professionnelle oblige, il apporte aussi un soin particulier à l’animation au point de susciter l’incompréhension des programmeurs.
Dans Darius II, sa première tâche va être de revoir l’animation et le design des anciens boss de Darius qui reviennent ici en tant que Mid-Boss. La charge de travail est certes moins importante que dans l’animation, ce qui n’empêche pas Takatsuna de s’enthousiasmer et de mettre les bouchées doubles sur le moindre détail. « Pourquoi accorder tant d’importance à ce genre de choses ? » s’entendra-t-il dire, « Fais-le ! » lui rétorquera l’ex-animateur.
Il faut reconnaître que si le staff de Taito est doté d’équipes solides sur le plan technique et en termes de design, les titres de la boîte ne brillent pas pour autant dans ce genre de petits artifices qui permettent pourtant de transcender une production en lui insufflant une touche personnelle qui frappera les esprits. Senba Takatsuna va apporter ce petit plus qui manquait tant aux titres Taito, une animation aux petits oignons au service d’une scénographie qui va devenir la marque de fabrique de l’Invaders House, mais aussi de quelques-uns de ses titres les plus marquants.
[1990] Welcome to Heaven
« Gun Frontier fut mon premier jeu personnel aussi bien en tant que designer et producteur. C’était là une tâche importante que me confiait Taito. Avant de recevoir l’accord de la direction pour développer ce jeu, j’ai dû présenter un document de près de 200 pages comprenant un certain nombre de design, et qui m’a accaparé un mois entier. Cependant, les pontes l’ont refusé à plusieurs reprises, et j’ai sabré quelque chose comme 40% du budget initial, sans pour autant remanier le contenu avant qu’il ne reçoive le feu vert. »
Ce petit paragraphe issu de la page personnelle de Senba Takatsuna (nb : traduite par BlackOak pour shmuplations.com) en dit long sur la somme de frustration et de ressentiment qu’il accumulera à l’égard des dirigeants de Taito lors du développement de Gun Frontier. Titre dans lequel le jeune producteur/programmeur va donner de sa personne, mais peut-être plus qu’il n’en faut.
Taito-F For Fujimoto Kastujiro
Le premier souci vient déjà des responsables qui sont, doux euphémisme, très proches de leurs sous ; et vont demander à Takatsuna de produire un jeu au coût équivalent à celui d’un titre sous-traité mais dont la finition serait digne des meilleures productions maison. L’autre point qui pose problème concerne la toute nouvelle carte Taito-F. Initialement les dirigeants la refusent à Takatsuna prétextant encore une histoire de budget, mais du jour au lendemain ils finissent par douter des capacités de la carte, doutes qui seront amplifiés par la mort accidentelle de son concepteur : Fujimoto Kastujiro.
L’absence de documentation et les quelques problèmes techniques de la PCB Taito-F font que personne ne croit en ses capacités. Les titres (Don Doko Don, Thunder Fox, …) qui commencent à l’exploiter font effectivement pâle figure face aux hits du CPS-1 et des hardwares Konami, non pas que les qualités vidéo-ludiques soient moindre, simplement que graphiquement ils en imposent moins que la concurrence. Les équipes de Taito n’ont pas conscience, ou ne savent pas encore comment exploiter le vrai potentiel du Taito-F. Pourtant Cameltry (1989) montrait la voie à suivre, peut-être car justement Fujimoto Kastujiro était encore de la partie pour soutenir le projet et son hardware, dont les véritables atouts ne sont pas forcément là où on les attend.
La véritable force de la carte réside moins dans ses capacités graphiques que dans la gestion de certains types d’effets : zoom, rotation, déformation, transparence, … Si certes Sega s’adonnait déjà à ce genre de spectacle visuel sur sa célèbre lignée de Taikan Games, derrière les coûts de fabrication pour un seul de ces jeux étaient faramineux comme le laisse entendre Yu Suzuki au sujet de After Burner. Concilier des exigences en termes de rapport qualité/prix tout en étant à la pointe de la technologie dans le secteur arcade, peut-être était-ce là le pari de Fujimoto Kastujiro.
Coïncidence ou pas, on notera qu’en 1988 le projet Super Famicom commence à prendre forme, une console dont l’une des principales caractéristiques que l’on va nommer plus tard le Mode 7 va reprendre de façon troublante les atouts des cartes Taito-F. Étonnamment Taito ne s’est jamais montré particulièrement inspirée sur la 16 bits de Nintendo, ni spécialement investi sur le marché console. Il faudra attendre l’ère des 32 bits, notamment avec l’arrivée de la PlayStation, pour que l’entreprise reprenne du poil de la bête. A une époque où le marché des consoles de salon commence à se confondre avec celui de l’arcade, à l’heure du Taito G-net.

In The Sky
Une forme ailée descend en piquée du ciel alors que des crocs acérés déchirant l’horizon se profilent. On commence à distinguer une masse nuageuse enveloppant de son manteau les cimes de montagnes millénaires. La « caméra » se rapproche brusquement de l’étrange forme, on distingue les deux ailes chargées d’une rangée de bombes au napalm, le cockpit en forme de colt, et ce double réacteur dans lequel se perd le regard. A peine a-t-on le temps de comprendre ce qui se trame, que le gunship ralentit l’allure pour vous retrouvez nez à nez avec le réacteur, et du puits sans fonds sort un son étourdissant qui propulse l’engin, le joueur et la « caméra ». La « caméra » remonte brusquement le long de la dérive, on entraperçoit le pilote, et à son tour elle s’envole tandis que le gunship descend et plonge dans la masse nuageuse. Les bandeaux noirs qui compactaient la scène s’entrouvrent, les premières notes de Desert Mountain Storm rompent le silence. C’est alors que le jeu fait place et que la partie débute.
Une séquence, sept secondes, … On reprend son souffle ! Comme le pilote !!
Comme on le sait dorénavant, Takatsuna est un individu issu du monde de l’animation japonaise, et à présent il n’est plus un simple rouage dans une équipe de développement, mais bien la force motrice du projet. Il peut maintenant laisser libre court à son imagination en donnant vie à des séquences d’une puissance inégalée en leur temps, qui bousculent l’univers conformiste du shoot’em’up. En mettant le paquet sur la scénarisation des environnements, en faisant des boss non plus de simples figurants arrivant mollement sur scène, mais bien des acteurs qui interagissent avec les décors ; et en boursouflant son plateau de petits détails, de figurants, d’explosions aux sonorités dynamiques, Takatsuna va revitaliser un genre en montrant une nouvelle voie à suivre : Mimer les codes de l’animation japonaise pour offrir une nouvelle expérience, plus immersive & contemplative, afin de marquer durablement l’esprit des joueuses/joueurs.
Le but est de surprendre via des séquences et situations, qui ne doivent plus uniquement se limiter à un amas de sprites superbement détaillés, tirant à tout va le long de décors et d’un plan de jeu prédéfini d’une consternante monotonie. L’idée maîtresse est de construire une scénographie dans laquelle chaque acteur, chaque plan, chaque bruitage, chaque morceau de la bande-son, s’agencent de façon naturelle pour délivrer un spectacle dont chaque climax se gravera de façon indélébile dans nos mémoires.

Le deuxième niveau débute dans une plaine désertique, celle-là même où vous avez fait sauter le premier boss. La verdure commence à faire place, mais sous les fourrés se cachent des tanks qui surgissent sans crier gare pour vous porter une balle à bout portant, tandis qu’à votre niveau surgit une formation parfaitement alignée. La première fois que l’on débarque, non seulement cette petite séquence est surprenante en soi, car assez inhabituelle, mais surtout sur le moment on a le réflexe de lâcher une bombe. Surprise, toute la végétation pris dans le feu du napalm part en fumée. Et ce n’est là que l’un de ces petits détails astucieux que Senba Takatsuna va s’amuser à parsemer tout le long du jeu.
Le gunship vogue maintenant au-dessus d’une forêt, aucun ennemi ne vous fait face, mais un son de turbine finit par rompre le silence, et avant que l’on ait le temps de s’en rendre compte, plusieurs Zeppelin descendent du ciel pour vous cueillir au moment où vous vous y attendez le moins. Les ennemis commencent à devenir de plus en plus nombreux. On finit par comprendre, on approche d’une base d’approvisionnement dans laquelle stationne de nombreux chasseurs n’ayant pas encore décollé. Et mieux vaut les descendre avant qu’ils ne viennent vous rejoindre.
L’odeur du souffre et de la poudre finissent par envelopper l’air, la base n’est plus qu’un amas de débris et de feu après votre passage. Après un tel carnage, l’alerte est donnée, les ennemis deviennent extrêmement oppressants et ne vous laissent plus souffler. On commence à distinguer un rivage, une étendue d’eau, menant vers une vertigineuse cascade. Un essaim d’oiseau s’envole, et on comprend mieux pourquoi, car en contrebas l’artillerie lourde vous attend au détour. Vous survolez à présent une masse nuageuse, elle commence à onduler violemment, l’ombre de la menace se dessine et remonte brusquement à votre niveau.
L’enveloppe cotonneuse se déchire, le ciel s’obscurcit, … Place au deuxième boss !
Prendre la peine de décrire brièvement ce niveau tend à démontrer qu’à l’instar de son travail dans l’animation, Takatsuna a « story-boardé » chaque niveau. Soit le fait d’illustrer chaque séquence avant qu’elle ne prenne forme pour visualiser l’ensemble des actions et distiller les moments forts qui vont égrener chaque niveau. Si ce genre d’informations se retrouvent habituellement dans les documents de game design, pas sûr que le storyboard soit en ces temps une norme dans les divisions des entreprises en charge des shoot’em’up. Le document de près de 200 pages que le producteur remet aux pontes de l’entreprise est ainsi suffisamment convaincant pour qu’ils donnent leur aval sur ce projet. D’ailleurs ils ne cessent de revenir sur la fameuse cascade qui clôt le second niveau. Takatsuna est on ne peut plus explicite à ce propos :
« Je me permets d’ailleurs une petite digression. En fait on a reçu l’aval de Taito pour commencer le développement de Gun Frontier sur la base d’un simple élément graphique, la cascade du deuxième niveau. La direction faisait une fixette à ce sujet. Elle a été jusqu’à dire que si la cascade n’apparaissait pas dans le jeu, le projet serait mis en suspens »
Tout ceci permet de rendre compte de ce qui anime Takatsuna, puisqu’il va jusqu’à créer/imaginer la topographie du monde de Gun Frontier. Le but étant à la fois de briser la monotonie que pourrait susciter un décor insipide tournant en boucle, aussi léché le graphisme soit-il. Mais aussi pour offrir une identité propre à chacun des niveaux. L’idée du plan séquence qui commençait à prendre forme dans Darius II est toujours présente, même si elle est moins palpable dans Gun Frontier. Aussi saugrenue puisse paraître l’idée, c’est une manière pour le producteur de nous faire vivre une épopée, en voyageant avec le pilote du gunship, en survolant et en nous imprégnant des terres sauvages de la planète Gloria. En passant des plaines désertiques, aux forêts immémoriales, du blanc panache d’une haute et vibrante cascade, à la vallée qui accueille le siège d’un barrage ennemi, à la ville fantôme soufflée par le vent et les tornades, jusqu’au final dans les cimes des rocheuses qui dominent le ciel et la terre de Gloria.
Takatsuna met en place un univers tangible, auquel on croit, on s’attache, en s’y plongeant éperdument. Un souffle épique plane dans les airs et imprègne chaque moment du jeu.
En replaçant ce concept dans son époque, rares sont alors les shoot’em’up qui vont si loin dans la conception de leur univers, peut-être car justement les designers et programmeurs dans le reste de l’industrie n’avaient aucun passif dans l’animation. Pourtant on constate ci et là quelques titres qui commencent à user timidement de ce genre d’artifices : Vapor Trail (1989), Aero Blaster (1990) ou encore Carrier Air Wing (1990).
Si quelques-uns de ces titres sortent la même année que Gun Frontier, pourtant aucun d’eux n’égalera la vision novatrice que son créateur portait sur les Shooting Games. Qu’il suffise de regarder la fin des 90’s pour constater combien les shoot’em’up marquants de cette décennie, marquée par le déclin du genre, sont imprégnés de ce concept (nb : j’élargi volontairement le spectre aux consoles de salons) : Raystorm, R-Type Delta, Einhänder, G-Darius, Radiant Silvergun, Border Down, Ikaruga, …
En somme des shoot’em’up qui ont construit leur légende, certes, grâce à un gameplay efficace, un game design au diapason et des scoring system passionnants. Mais sans pour autant négliger la force de leurs univers graphiques, en accord avec leur temps (le cap de la 3D), dont la richesse éclot lors de cette subtile harmonie qui naît du mariage entre l’art du cadrage, les jeux d’angles de vue et une bande-son qui accompagne, souligne cette action, pour insuffler ce souffle épique qui marquera durablement les esprits.
To The Wildness
Gun Frontier tire aussi son épingle du jeu par un certain nombre d’idées de gameplay & game design. Non pas que je vais m’amuser à revenir sur chacune des subtilités propres au système de jeu, mais plutôt faire ressortir deux idées fondamentales qui s’inscriront 6 ans plus tard dans l’ADN d’un certain titre Raizing. La première d’entre elle étant la gestion du rank à la limite du non-sens et son scoring system aux antipodes des codes en vigueur. A trop marteler le bouton de tir, vous faites monter le rank, trop de bombes en stock et la punition sera identique et en stockant trop de vies, je vous laisse deviner la suite…
« Pour en revenir à la gestion du rank rattachée à la cadence de tir, cette idée venait des programmeurs qui se démenaient pour créer une difficulté dynamique. Le but n’était pas d’empêcher les exploitants de salles d’installer des circuits de tirs automatiques. A vrai dire la montée du rank ne dépend pas uniquement de la cadence de tir, mais aussi de la quantité d’ennemis abattus et d’autres paramètres. Mais finalement, j’ai le sentiment d’avoir créé un jeu trop ardu et c’est quelque chose que j’aurais souhaité corriger »
Imaginons maintenant que vous tenez le bon bout et que votre souhait le plus ardent soit de marquer votre territoire en posant plusieurs millions de points dans le highscore. C’est là que vous comprenez que le souffle de la Napalm Bomb multiplie la valeur des ennemis pris dans l’explosion. Et là, en dépit du bon sens vous vous dites :
« Ok, je me trouve un spot bourré d’ennemis situé juste après un checkpoint, je bombe, puis je me suicide. Je reviens au checkpoint plein de Napalm sous mes ailes, je répète l’opération et là les vies supplémentaires commencent à pleuvoir. Je continue jusqu’à atteindre la limite, et poursuis ma route jusqu’au prochain spot ».
De plus recharger sa bombe ne suppose pas de collecter un item spécifique, il suffit de collecter les munitions (nb : barrettes dorées) laissées par les tanks abattus. Pourtant aucun besoin d’une charge complète pour utiliser la Napalm Bomb, elle est disponible à tout moment même si sa portée sera moindre. Toutefois cela permet ainsi de continuer à « scorer » et de profiter des brèves « frames » d’invulnérabilité que génère le souffle pour se sortir d’un mauvais pas.
Les amateurs de Raizing reconnaîtront aisément quelques-unes des marques de fabrique de Battle Garrega, qui reprendra à son compte, aussi bien l’univers visuel de Gun Frontier que l’une de ses approches en termes de scoring. Même si Yagawa reconnaîtra à demi-mot cette filiation, pourtant empreinte de clins d’œil évidents à Gun Frontier. Toutefois il réinventera, enrichira et amplifiera la formule en rajoutant d’autres paramètres de scoring, ainsi que la possibilité de jouer sur la montée ou baisse du rank. Il oubliera néanmoins un point essentiel, un Shooting Game se doit de garder une certaine lisibilité.
A l’originalité de son gameplay et game design, Gun Frontier y couple un environnement graphique peu usité jusqu’alors, le steampunk. Mais il ne sort pas de nulle part, puisque Takatsuna puise directement dans ce qui l’animait plus jeune, ce qu’il va injecter dans son jeu : L’animation, le manga et le jeu vidéo. Gun Frontier est surtout initialement une œuvre de Leiji Matsumoto datée de 1972, mettant en scène sa galerie de personnages fétiches, Harlock (Albator) & Tochiro, dans le vieil ouest américain du 19e siècle. Sans rapport scénaristique avec la saga Captain Harlock, les deux œuvres sont toutefois liées par leurs personnages et certains éléments directement issus des westerns. C’est ce mélange des genres, entre Space Opéra & Western Spaghetti, qui vont alimenter tous les designs et décors du shoot’em’up Gun Frontier.
Après tout, Senba Takatsuna est né et a grandi lors d’une période où les deux genres cinématographiques étaient en plein essor. Une façon de lier l’agréable à l’utile, tout en se démarquant du reste de la production arcade. Ainsi l’écran titre bardé d’un vieux colt donne d’emblée le ton. Arme représentative du Far-West, mais dont la version plus futuriste, le Cosmo Dragoon est l’arme de prédilection de certains personnages de Leiji Matsumoto.
Ce mélange des genres apporte une touche de fraîcheur bienvenue dans une production sclérosée par la SF, en s’offrant un mécha design inédit. Les aéronefs sont ainsi des assemblages surprenant de colts, chiappas et canons que l’on croirait tout droit sortis de la Guerre de Sécession. Littéralement des « Gunship », un nom si représentatif de l’une des œuvres emblématiques du studio Ghibli.
Je pourrais encore m’attarder pendant un long moment sur les nombreux clins d’œil que compte le jeu ; mais disons succinctement que Takatsuna veut que sa première production soit, non seulement, techniquement à des années lumières des autres shoots de cette époque, mais aussi que son monde ait un visage singulier. Car c’est bien cette constante recherche de singularité qui va déclencher l’étincelle de génie artistique et de folie visuelle qui s’emparera de chacune des productions Taito.
Prendre le temps de revenir sur Gun Frontier, c’est comprendre l’impact qu’a eu ce jeu dans sa catégorie, mais surtout auprès de ceux qui côtoient Takatsuna au quotidien : ses collègues de boulot mais aussi la direction de Taito qui ne va pas être indifférente au talent du jeune homme pour mieux l’essorer par la suite. Alors qu’il se dévoue corps et âme dans la production de son jeu afin de tirer le meilleur de la nouvelle PCB Taito-F2 ; car oui, Gun Frontier va transiter entre deux hardwares, la direction l’appelle à la rescousse pour sauver les meubles sur un projet bancal, placer sous le signe de l’argent facile :
« J’ai été affecté sur un autre projet, stoppant ainsi temporairement la production de Gun Frontier. Chez Taito on me refourguait souvent les titres les plus insignifiants de la division shoot’em’up. Il y avait un jeu en développement du nom de Majestic Twelve, et dont l’idée maîtresse était de recycler un vieux stock de PCB pour faire une sorte de Space Invaders. Comme le location test fut désastreux, on m’a appelé en renfort pour filer un coup de main. J’ai dû me taper pendant un long mois tout le travail de révision. Afin qu’il devienne rentable, en regard des dépassements de budget, on m’a demandé de rehausser la qualité du produit, afin de le rendre viable pour une sortie sur la toute nouvelle carte Taito-F2 ».
Même si chez les concurrents, les développeurs sont aussi enflammés que ne l’est Takatsuna, il n’en reste pas moins qu’ils se consacrent à un seul projet. Le commentaire acerbe de ce dernier dénote de conditions plus propres à développer une bonne vieille rancœur qu’une saine confiance. Cette situation fait d’ailleurs étrangement écho à celle de Tomohiro Nishikado au moment de l’après Space Invaders en 1978-1979. Déjà à l’époque, les pontes de Taito demandèrent à exploiter un stock d’invendus de son hit pour concevoir de nouveaux jeux, qui malheureusement ne firent pas le poids face aux nouveaux titres de Namco : Galaxian (1979) & Galaga (1981). La gestion des projets chez Taito entre 1978 et 1993 laisse songeur quant à la politique de la maison.
Et ce n’est qu’un début, car Takatsuna ne va pas être au bout de ses peines, surtout vu ce qui va l’attendra par la suite, mais c’est lors de cette période troublée sur le plan professionnel qu’il délivra l’une de ses œuvres majeures qui affectera durablement le style visuel de Taito.
L’aventure continue !
EXODUS WAR – DARIUS A.D. 201 – DARIUS
VADIS WAR – VADIS A.D. 1652 – ?????? ??????
NEMESIS CRISIS – EARTH A.D. 2042 : En cette année funeste, des astronomes observèrent un objet céleste dans l’orbite de Jupiter, qui affecta des astéroïdes à proximité. Une pluie de météorites s’abattit sur Terre. Tandis que la civilisation humaine était sur le point de s’éteindre, des signaux d’une intelligence extraterrestre émanèrent de l’astre obscur : Némésis. Le 17 Mars 2052, après 10 ans de recherches, les scientifiques du gouvernement terrien produisirent des machines (Black Fly) disposant des mêmes capacités que ces forces venues des ténèbres. La Terre était sur le point de s’éteindre dans un silence éternel.
GLORIA – U.N. SPACY A.D. 2120 – GUN FRONTIER
SOLAR SYSTEM WAR – DARIUS A.D. 1813 – DARIUS II
RUSHING INTO NEXT ZONE : «DUAL MOON »
Liens
- http://mobygames.com/
- http://arcade-history.com/
- http://www.system16.com
- http://shmuplations.com/gunfrontier/
- http://shmuplations.com/gunfrontier2/
- https://web.archive.org/web/20150307174454/
- http://www6.ocn.ne.jp:80/~t-1008dx/GF.html
- https://web.archive.org/web/20150301175807fw_/
- http://www6.ocn.ne.jp:80/~t-1008dx/PROFILE.html
- https://www.sakugabooru.com/post/show/22987
- https://www.sakugabooru.com/post/show/63121