L’envahisseur descendit du ciel en 78, terrorisa les banques japonaises, qui en perdirent leur lot de crédits, emplissant de pièces de 100 yens les poches de l’Empire Taito. Mais d’autres factions, contre-attaquèrent, et celles de Konami sortirent l’artillerie lourde, l’arme absolue, Gradius. L’Empire n’était pas pour autant prêt à céder. Cette fois l’envahisseur viendrait, non pas des cieux, mais surgirait des abysses pour engloutir tout ce qui se trouverait sur son passage.
Un tsunami cosmique du nom de Darius.
Début 2016, l’ami Yace me contacte par mail, puis ultérieurement un certain nombre d’autres personnes (dont überwenig), afin de monter un projet de bouquin autour du shoot’em’up. L’optique est alors d’aborder le shooting dans son ensemble en parlant des éditeurs, des jeux et des grandes séries qui ont construit le genre pionner de l’Arcade. Devinez à qui incombait la tâche d’aborder la saga Darius ? Dans les faits, à l’époque j’étais partant, mais respecter un délai, écrire de façon contrainte, que ce soit en termes de style, de densité de texte, m’avait un peu refroidi. Je voulais écrire sans me sentir entravé. A l’époque, j’avais communiqué une trame du dossier qui devait aborder l’ensemble de la série, intégrant même des jeux périphériques. Mais cela était trop dense pour Yace, tout comme je savais bien qu’au fond de moi-même, je n’arriverais jamais à tenir le délai imposé. On resta en bons termes, mais l’idée subsista dans un coin de ma tête, tout comme Yace garda toujours en tête son idée de bouquin (qui devinrent des bouquins) autour du shoot’em’up.
En parallèle, depuis 2014, l’association d’Arcade Coin Op Legacy avait pris pied dans le quartier où j’habite, ce qui me donnait l’occasion de me rendre assez régulièrement aux sessions. Étant en contact avec certains membres de l’association, en milieu d’année 2016, ces derniers me proposèrent de participer à l’élaboration d’un mook qui traînait dans les cartons depuis 2015. Cela me remotiva à remettre le pied à l’étrier, que ce soit au sujet de Darius et de bien d’autres choses ; car pour le coup quelques textes avaient été produits par les membres originels (Baptiste Ha, Dracoël, Joël Arrault, Olisan, Zamoth, …). Mais surtout, on s’était donné carte blanche, comprendre que l’on écrirait tant qu’on le voudrait et qu’il n’y aurait pas de délai. Ça sortirait quand ça sortirait. Pourtant le mook version 2016 a été essentiellement porté par Olisan à la maquette, moi-même aux textes et A-M qui rejoignit le bateau l’année même. Peu de gens étaient disponibles pour travailler sur ce projet, et la motivation s’était étiolée au fil des mois ; car pris par d’autres choses, ou que ce n’était pas (ou plus) d’actualité dans la vie de l’association. Pourtant tout ne fut pas complètement perdu, car bien des idées sont remontées dans les émissions diffusées sur Gamekult, dont une partie du présent dossier qui servit de base pour l’émission consacrée à la borne Sagaia.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ce dossier a bien été, un temps, disponible sur un blog, mais qui soyons réalistes, a dû être consulté par trois péquins. Alors pourquoi pas le remettre au goût du jour sur un site où le contenu prime davantage que le contenant. Mais il ne va pas s’agir d’une simple republication, car depuis 2014, bien des informations sont remontées au sujet du développement de cette saga ; ainsi que sur les personnes ayant participées à l’élaboration des différents épisodes. A l’heure où j’écris cette petite mise en bouche, quelque chose comme 60% du dossier est dans les tuyaux, et va être diffusé au fur et à mesure dans les mois à venir. Car chaque épisode de cette grande cuvée Taito va avoir le droit à son traitement en profondeur. Et ce sont bien ces profondeurs que je vous enjoins à rejoindre. Ne restons pas à la lisière de la rivière, mais plongeons plutôt à tête perdue dans l’océan, le gouffre, les abysses de Darius. Inspirez, retenez votre souffle, car le voyage va être long. Du fonds des océans jusqu’aux confins de l’univers, dans cette mer et mère, de cette grande galaxie qu’est le Shoot’em’up.
NE DU CHAOS
– DARIUS –
Sommaire
[A.D. 1985-1986] Chaos
« Je fus surpris par l’intensité de sa puissance, tellement, que j’en sentais mes os tressaillir. Je n’avais pas complètement finalisé la définition du concept […]. Finalement je l’ai composé avec l’idée d’une existence au sens large. Je pense que la définition la plus précise de ce simple concept est le « CHAOS ». « CHAOS » fut achevé très rapidement, et pour son temps c’était un thème très avant-gardiste. Je l’ai donc désigné d’office comme le thème clé [du jeu]. Je voulais [que le joueur] perçoive ce qu’aucun n’avait jamais entendu dans un jeu vidéo ! C’est avec cette pensée que j’ai composé ce morceau qui exprimait la naissance de l’univers. En fait, pendant que je le composais, ce thème aurait dû s’appeler « BIG BANG ».
Ainsi s’exprime Hisayoshi Ogura en ce mois d’avril 2011 lors d’une interview accordée à Don Kotowski pour le site vgmonline, au sujet de ses nombreux travaux pour le compte de la Sound Team Taito qu’il dirigea, ZUNTATA, et sur l’une de ses licences les plus emblématiques : DARIUS.
1985 – Project Scramble 2 –
Du Chaos naquit Space Invaders en 1978. Dans l’explosion de ce Big Bang un univers vit jour, le shoot’em’up, et en perpétuelle expansion une myriade de galaxies firent leur apparition : Galaxian, Defender, Scramble, Xevious, Gyruss, 1942… Mais certaines de ces galaxies formèrent des amas, des groupes, au point qu’aujourd’hui elles nous paraissent similaires et interchangeables. En 1985, l’une d’entre elle scintilla bien plus que les autres : GRADIUS.
Novateur à plus d’un titre, le premier opus de la série éponyme de Konami, se détache du reste de la concurrence. La diversité des niveaux à l’identité marquée, aussi bien musicalement que graphiquement, donnent au joueuse/joueur le sentiment de voyager ; là où d’autres restent figés dans une monotonie consternante, se contentant de mimer le concurrent du moment, ou d’apporter une légère variante à un concept déjà existant. Si la forme est alléchante, le fond l’est tout autant dans Gradius, introduisant le principe d’armement modulable. La ceinture d’armement (Power Up Gauge) donne la liberté de varier les caractéristiques du Vic Viper, et les options (unités de support), offrent une façon inédite d’aborder et d’appréhender les niveaux en modifiant leurs positionnements. Le titre développe une identité unique, connaît le succès, et conditionne la décennie à venir dans le shoot’em’up. Il devient ce que l’on appelle un classique.
1986 – Super Gra… DARIUS –
Si la production de shoot’em’up commence à sensiblement augmenter en 1979, pour atteindre un rythme de croisière de 12 titres produits en moyenne jusqu’en 1985, cette date est un électrochoc pour Taito. Effectivement depuis l’Invader Boom de 1978, l’entreprise se contente d’exploiter mollement sa licence phare, aux côtés d’autres titres : Space Invaders Part II (1980), Bio Attack (1983), Return Of The Invaders (1985). En 1986, elle revient forte d’une division de cinq titres avec en tête de proue Darius.
Darius… Mais dites-moi, ça sonne drôlement comme Gradius. Un lapsus révélateur, tant il est vrai qu’aujourd’hui encore certain(e)s confondent toujours les deux séries. Bien évidemment pour les personnes versées dans le shooting, ces deux titres ont un univers distinct, mais lors de sa sortie en 1986 on ne peut s’empêcher d’y voir une forme de surenchère de la part de Taito. On imagine presque le boss de la boîte taper du poing sur la table : «Oh, le public a aimé Gradius ! Eh bien on va leur en donner et en infiniment mieux ». PLUS de niveaux, PLUS de boss, PLUS de puissance de feu, PLUS de son… Et une borne qui en impose avec une étendue de jeu s’étalant le long de trois écrans. Pour sûr, elle ne passe pas inaperçue. Il faut dire que ce type de bornes sert avant tout à se démarquer de la multitude des cabinets qui pullulent dans l’environnement bruyant et saturé des Game Center. Avec une telle surface d’affichage, on atteint alors un degré de détail ahurissant qu’aucun jeu ne pouvait se permettre à l’époque. Le contraste et les dégradés de couleurs sur certains décors rendent la matière presque palpable. Que ce soit dans ces cavernes dans lesquels les Silver Hawks se fraient un chemin, ou bien ces paysages lunaires où se sont échoués plusieurs croiseurs. On distingue toutes les petites aspérités et imperfections de chaque élément qui compose un panorama saisissant de réalisme.
Nous sommes aussi à une époque charnière où le graphisme, dans le monde de l’arcade, commence à gagner en finesse. Les sprites et décors ne sont plus de simples amas de pixels, dans lesquels les joueuses/joueurs projettent leur imagination, mais deviennent des objets aux contours clairement définis. Dans le shoot’em’up, Gradius montrait déjà la voie à suivre, en dépit d’un univers très conventionnel et minimaliste, qui toutefois n’enlevait rien au raffinement de toutes les pièces disposées dans ce tableau. En ce sens Darius va plus loin, il sature l’espace de couleurs et de détails en puisant son inspiration dans la nature (cavernes, vallées, fonds des mers…) comme pour mieux démontrer la capacité des graphistes à mimer la réalité. Le réalisme… le terme peut prêter à sourire lorsque l’on évoque l’arcade, et pourtant il pourrait expliquer le choix du bestiaire marin qui a fait l’identité de Darius. Effectivement quoi de mieux qu’imiter les animaux des fonds des mers pour créer la différence. Toutes les petites animations qui égrènent les boss apportent vie et personnalité à chaque opposant, là où nombre de shoot’em’up ne proposaient qu’une multitude d’UFO inanimés, et dont la froideur renvoyait au vide spatial, au manque d’idées, au manque d’originalité.
Dans une interview accordée au magazine Gamest en 1986, le planificateur du titre Akira Fujita précise qu’il en aurait pu être autrement ; avant de se raviser lors des premières ébauches du jeu :
« Avant Darius même, j’avais déjà en tête l’idée d’un shoot’em’up dans lequel on combattait d’énormes cuirassés à la fin de chaque stage. Vu que nous venions de nous décider pour une configuration à trois écrans, j’ai soudainement eu un éclair de génie. Sachant que les designs à base des mécha/machines avaient déjà été exploités ad nauseam dans de nombreux shooting, je me suis dit qu’avoir autre chose serait une manière intéressante d’apporter un peu piment à l’ensemble […] Nous avons eu l’idée de créer 26 boss différents, et notre équipe a produit des croquis et des artworks pour chacun d’entre eux. On avait des designs tels qu’un poisson-ange, une murène et d’autres qui étaient d’une folle bizarrerie. Malheureusement, des contraintes de temps ont fait que nous avons dû revoir le chiffre à la baisse, pour passer à 11 boss dans le jeu. »
Le choix même de ses monstruosités marines avec pour toile de fonds une fresque typiquement japonaise, pourrait aussi bien renvoyer à un pan de la culture populaire nippone, le KAIJU EIGA, en somme le film de monstre. Dans l’œuvre fondatrice de 1954, Godzilla, l’ancien du village évoque avec crainte et respect un dragon gigantesque vivant depuis des temps immémoriaux dans le gouffre des océans.
Inorganic Beat
O.G.R
Mais Darius est étrange, à l’image de son bestiaire, qui inspirera un son avant-gardiste et à contre-courant des codes de l’époque. Hisayoshi Ogura, l’homme à l’origine de Zuntata, voulait faire autre chose qu’un énième travail de commande, il va trouver un challenge à la mesure de ses aspirations. Mais revenons très brièvement sur ses débuts pour mieux comprendre ce qui jaillira de l’imagination d’un homme qui va créer une nouvelle vague en 1986. Hisayoshi Ogura, qui dès sa prime adolescence se passionne pour la musique, et compose déjà ses premières partitions, se destine à une formation classique dans le domaine. Tout juste diplômé au début des années 80, il se découvre une passion pour les synthétiseurs alors même que le groupe d’électro japonaise, Yellow Magic Orchestra, commence à faire parler de lui. Cette époque marque un tournant pour le jeune homme en quête de nouvelles contrées musicales à explorer. Cédons un instant la parole au principal concerné (cf. Don Kotowski / Vgmonline.net) :
« J’avais entendu dire que Taito avait posté une annonce dans les journaux. J’ai postulé et j’ai dit aux gens des ressources humaines que j’étais en mesure de faire de la musique. Quelques jours plus tard ils m’ont accompagné dans la division recherche & développement de Taito, parce que, je m’en suis rendu compte par la suite, l’entreprise venait tout juste d’ouvrir un département dédié au son. Et il s’avérait qu’ils recherchaient du monde pour composer. C’est arrivé de façon totalement inattendue. Pour moi comme pour la compagnie, c’est arrivé au bon moment.
Mais durant les deux années qui suivirent, j’ai dû composer des thèmes pour chaque jeu qui voyait le jour. J’étais débordé et cherchait à faire une musique qui me correspondrait. J’ai fini par me sentir lassé. C’est à ce moment qu’a surgit le projet Darius. J’ai directement dit à mon chef, que si possible, je désirerai travailler sur ce jeu. Je n’avais pas vraiment d’idées lumineuses au moment où j’ai été affecté au projet. La seule chose que j’avais en tête était une approche musicale beaucoup plus libre. Je voulais quelque chose de puissant, j’ai commencé à y réfléchir mais tout en étant à contre-courant de la musique typique des shoot’em’up. Finalement j’ai passé 23 ans de ma vie à créer du son pour Taito, en travaillant aussi sur les effets sonores, sur tout et n’importe quoi à vrai dire, des projets de moindre envergure, aux plus gros. Et durant ce temps, j’ai fondé un groupe connu sous le nom de Zuntata. »
L’identité sonore de Taito, telle que nous la connaissons par le biais d’un nom, ZUNTATA, naît en même temps que Darius. A croire qu’après deux années de labeur, à sauter d’un projet à l’autre, Hisayoshi Ogura peut enfin donner libre cours à ce qui commençait à germer dans son esprit, un UNIVERS musical à des années lumières de ce qui se faisait, d’une amplitude inégalée, qui bouscule et transporte le joueur, et deviendra aussi le terrain de jeu privilégié d’O.G.R et de ceux qui rejoindront l’ovni Zuntata quelques années plus tard (Yasuhisa Watanabe, Tamayo Kawamoto, Katsuhisa Ishikawa, Hirokazu Koshio, Sohei Tsuchiya,…).
WARNING !
S’il n’est pas impossible de penser, qu’en termes de gameplay et de level design, Darius soit venu à lorgner du côté de Gradius ; pour la borne en elle-même Taito surfe alors clairement sur la vague des Taikan Games de Sega. Le but étant pour Taito de proposer sa propre borne « à sensation ». Dans une interview datée de 1987 pour le magazine BEEP !, le journaliste, tout comme les ingénieurs, reviennent sur les idées qui ont cogité au sein de l’équipe :
« Darius a d’abord été conçu comme une idée de nouvel hardware ». Comme nous le savons tous, Taito a fait de nombreux jeux multi-écrans par le passé. Un vétéran de l’ingénierie décrit ça comme « une passion pour les grands écrans » ! Je suppose que Darius peut être vu comme la matérialisation de cette fascination, combiné à l’art et l’expertise de Taito pour les technologies basées sur des jeux de miroirs. « Une fois que nous avons pu faire fonctionner les trois moniteurs conjointement, il y eut beaucoup de discussions au sujet du type de jeu que nous allions produire ». L’ingénieur m’a même parlé d’une idée qui consistait à aligner les trois écrans en position vertical ! Mais une telle borne posait bien trop de problèmes de sécurité, l’idée fut donc rejetée, et la version actuelle au format « cinémascope » fut validée. Pour le jeu en lui-même, Taito a décidé de produire un shooting game qui permettrait de mettre en avant les capacités de la borne, et serait ainsi à même de se frotter aux Taikan Games actuels.
La particularité de Darius réside en son affichage 3 écrans, offrant une aire de jeu immense et conférant un effet « cinémascope » à la borne. Afin de donner l’illusion que les 3 écrans sont accolés (nb : Les tubes ne peuvent pas être accolés les uns aux autres à cause des interférences magnétiques qui génèrent des distorsions de couleurs), 2 des 3 moniteurs sont positionnés à droite et à gauche de la borne. Ces 2 écrans sont situés sous la zone d’affichage, et un miroir renvoi l’image de telle façon que la jonction avec l’écran central se fasse naturellement. Ce type d’affichage n’a pourtant rien de nouveau, mais comme le souligne le journaliste, l’idée est particulièrement astucieuse et bien plus élégante que ces prédécesseurs ; dont le mode d’affichage était plus grossier :
Le point fort de la borne réside bien sûr dans son affichage sous forme de trois écrans. Mais il ne s’agit pas simplement de trois moniteurs accolés les uns à côté des autres. En fait il y a déjà eu par le passé de nombreux jeux qui se contentaient d’aligner trois moniteurs : Super Dead Heat et GP World sont les premiers qui viennent à l’esprit. Ce qui rend Darius unique vient de son système d’affichage laissant croire qu’il s’agit d’un seul et même écran.
Mais la borne ne se limite pas seulement à son affichage car avec Darius, c’est aussi une histoire de son. Ainsi la borne est équipée d’une prise jack, afin de brancher des écouteurs (chose rare pour l’époque), mais surtout d’une série de haut-parleurs (dont l’un est situé sous le banc sur lequel on est assis) qui alimente un système sonore nommé « Body Sonic », qui vous « projette » littéralement le son. Ainsi la bande sonore profite pleinement du système en faisant vibrer, trembler, tressaillir la borne… Et même les utilisateurs ! Une véritable expérience sensorielle qui renforce d’autant plus le caractère spectaculaire de ces bornes. Le WARNING ! qui deviendra l’une des signatures de Darius, profite alors pleinement de cette particularité technique, et marquera à jamais celles et ceux qui auront eu la chance de s’y essayer. Le journaliste de BEEP ! témoigne de son enthousiasme à ce sujet :
L’OST a bien sûr été composé pour tirer profit de la puissance des haut-parleurs, qui résonnent avec d’énormes basses lors de certaines scènes, notamment lors de l’arrivée des boss. Le WARNING ! résonne, tandis que vos jambes ressentent une vibration grondante à l’arrivée du boss… Même des mots ne sont pas à même de décrire cette incroyable sensation, il s’agit vraiment de quelque chose que vous devez expérimenter par vous-même ! Je n’ai aucun doute quant au fait que Taito recevra de nombreux éloges, amplement mérités, pour son dévouement dans cette avancée technique pour le jeu vidéo.
Toutefois cela a un coût et impacte grandement le travail des équipes, aussi bien pour la partie hardware que software. Ainsi rien que pour la partie software, que soit au niveau de la programmation ou de la partie graphique, Darius réclame une équipe deux fois plus importante que pour le développement d’un jeu standard. La conception de la borne n’est pas non plus évidente pour l’équipe hardware, qui doit chercher un équilibre entre le coût de fabrication et le prix de vente, afin que la borne soit viable sur le plan financier. Finalement, près de 40 personnes participèrent à la conception de la première borne Darius. Quand on sait qu’en moyenne une équipe de développement était composée d’une dizaine de personnes au milieu des années 80, on se rend compte du défi technique que l’équipe a dû relever.
Un challenge gigantesque, à l’image des boss de Darius, tout comme Yukiharu Sanbe dut relever un énorme défi pour gérer ce banc de poissons, fait d’ingénieurs et de programmeurs, prêt à se mordre la queue… Caudale ! Il a rejoint l’Invader House en 1979 et a été quasiment de toutes les productions Taito dans le courant des années 80. Sous la responsabilité de Nishikado Tomohiro, à qui l’on doit le plus gros succès de la boîte (Space Invaders), il travaille aussi bien à la conception des bornes qu’à la partie logicielle (surtout les outils), des jeux auxquels il contribue. Et ils sont pour la plupart mythiques : Bubble Bobble, Arkanoid, Rastan et bien évidemment Darius. Ses qualités de technicien hors pair, mais sa compréhension tout aussi aiguisée de l’aspect logiciel, en a aussi fait un excellent manager d’équipe bien que comme il l’indique, il a souvent servi de « fusible » entre les techniciens des bornes et les programmeurs de jeux.
Dans une interview pour la sortie de La Darius Cozmic Collection traduit par BClarkOMP du site One Million Power ; Mr Sanbe partage quelques anecdotes croustillantes au sujet de la conception de la borne, qui n’a pas été de tout repos pour le principal concerné :
« Je pense que les ingénieurs avaient vraiment un problème avec la configuration initiale [de la borne]. L’un d’entre eux qui était un ancien [chez Taito] m’a dit : ‘’La jonction entre les écrans ne va pas fonctionner comme vous le pensez ’’. Et je me souviens lui avoir rétorqué : ‘’ C’est ainsi que fonctionne la théorie des miroirs déflecteurs, et pour sûr, ça va fonctionner ! ’’ alors que je dessinais le tout [à la craie] sur un tableau. Il est plus que probable qu’il m’ait pris en grippe (rires). Donc oui, il y avait pas mal de disputes des deux côtés […] Le développement [de la borne Darius], c’était basiquement des ingénieurs en électricité qui se disputaient, vu qu’ils étaient assis les uns à côté des autres […] Lorsque nous avons décidé de produire le jeu, on n’avait pas encore les circuits dont nous avions besoin. On a pris les trois qui étaient déjà disponibles, on les a recâblés, puis reconfiguré les jumpers à la main en disant ‘’Bon, au moins les programmeurs pourront commencer à développer le jeu avec ça’’ (rires) […] Lorsque je suis arrivé [dans le bureau des programmeurs], ils ont virés les jumpers en me disant ‘’Eh ! Pas si vite !! ’’ (rires) »
Et du côté de Zuntata me direz-vous ? Là encore, Mr Sanbe, a dû jouer des coudes :
« [Les gens] du département son m’ont dit qu’ils voulaient utiliser le Body Sonic pour faire vibrer le siège. A l’époque, il existait des hauts parleurs spécialement conçus pour le Body Sonic, mais ils étaient affreusement chers (rires). On parle quelque chose comme 100’000 à 200’000 yens (entre 800 et 1600,00€), ce qui était excessif pour une borne. Le département du son était très arty… Donc, comment l’expliquer… Pour le dire simplement, je me souviens qu’il y eut un paquet de conflits. On a trouvé un terrain d’entente en incluant un woofer (Haut-parleur de sons graves) dans le siège. En fait, j’ai eu l’occasion de tester un vrai Body Sonic à l’époque en me disant ‘’C’est génial, mais il n’y a pas moyen qu’on l’utilise’’ […] Il y eut [aussi] des problèmes de surchauffe avec le premier Darius, lorsque nous avons monté le volume à fond, un transistor à volé en direction de la carte. Ce qui voulait dire, que nous ne pouvions pas trop monter le volume, alors que justement, les salles commençaient à le faire (rires) ! »
Darius est ainsi un produit de son temps, un jeu des années 80, mais par-delà l’histoire de sa technique, c’est aussi une autre histoire, celle d’un level design et d’un gameplay.
Cosmic Air Way
Sur la route des cieux étoilés, les Silver Hawks sont des concurrents de taille face au Vic Viper. L’univers étendu de Darius le démarque complètement du hit de Konami en créant ses particularités : surface de jeu incroyable, graphismes renvoyant la concurrence à l’âge de pierre, sélection des niveaux rendant chaque partie unique, son amplifié par le système Body Sonic, multijoueur à l’opposé du très solitaire Gradius. Sur la forme, Darius surclasse son opposant.
Mais peut-on en dire autant du fond, des mécaniques qui fondent le titre de Taito ?
C’est ici que le bât blesse, là où Gradius permettait de configurer aisément le Vic Viper (vitesse, type d’armes, modules d’appuis), on peine à gagner en puissance dans Darius. On démarre certes avec un missile anti-sol, mieux armé en somme que le Vic Viper, mais lorsqu’il s’agit de couvrir une aire de jeu trois fois plus grande que chez la concurrence, cette surenchère fait sourire. On souffre pour abattre la moindre formation ennemie, et les power-ups ont souvent tendance à voguer à l’autre bout de l’écran, finissant par se perdre dans les recoins du décor. Frustrant ! Et la vitesse de pointe des Silver Hawks n’aide point, tant ils sont figés dans une constante lenteur. Le moindre déplacement relève de la gageure alors que les ennemis vous assaillent de tous les côtés.
Finalement, si Darius peut sembler avant-gardiste au premier abord, on se rend vite compte qu’une fois en main il paraît pour le moins embourbé dans le passé. Cette rigidité fait tâche en regard de la souplesse de Gradius. D’autant plus qu’en 1986 Konami envoi une seconde salve avec Salamander. Dans la lignée de son prédécesseur, en termes de gameplay, il simplifie le modèle de montée en puissance et propose aussi la possibilité de jouer à deux simultanément. Cependant Gradius & Salamander sont deux jeux relativement courts, et puis leurs loops à l’infini peuvent finir par lasser. Surtout l’exploitant de salle qui n’apprécie guère voir une joueuse/joueur trop talentueux monopoliser pendant des heures une borne. Darius, outre l’expérience inédite qu’il propose, dispose d’une replay value rare à l’époque. Grâce à son ingénieux système d’arborescence des niveaux, on est invité à revenir régulièrement pour parcourir l’ensemble des routes. Un bénéfice non négligeable pour l’exploitant, d’autant plus que la borne est loin d’être « dédiée» à ce seul jeu car fonctionnant sur le même modèle qu’une borne classique. Il pourra changer la PCB à l’avenir, Taito promettant de nourrir en titres son petit colosse.
Autre point et non des moindres, Darius est aussi plus intéressant sur le long terme. Du fait de certaines spécificités de scoring, point totalement absent de Gradius, le titre de Taito s’avère nettement plus évolué sur ce point. Entre son système de chain, c’est à dire de la destruction complète d’une formation (apportant un bonus de point), ses phases de leeching pensées et structurées autour des boss (composés de plusieurs éléments destructibles), et son bonus de fin de partie apporté par le nombre de vies restant en stock ; Darius construit les bases d’un système qui viendra à évoluer dans la décennie à venir, là où Gradius restera figé dans le temps.
Le but ici en mettant Darius et Gradius en parallèle, en se limitant à ces deux seuls jeux, n’est pas de savoir qui sort grand vainqueur du match dans la catégorie « meilleur shoot’em’up des 80’s ». Il s’agit plutôt de comprendre dans quel contexte le titre Taito voit le jour, quels sont ses atouts et ses faiblesses, afin de mieux appréhender son développement, et surtout cerner ce moment précis où DARIUS va prendre une autre route. Une route faite de jeux, d’expérimentations, d’évolutions, s’étalant et se prolongeant depuis maintenant plus de 30 ans.
Et l’aventure ne fait que commencer !
EXODUS WAR – DARIUS A.D. 201 : Alors que le soleil se couche sur leur nouvelle terre d’accueil, la planète Olga, Proco & Tiat se souviennent de cette année funeste pour leur civilisation. Ce jour où Darius subit le feu atomique des bombardements Belser qui consuma la planète aux milles richesses. La fougueuse contre-offensive et le périlleux voyage d’exode n’aurait été possible sans ces oiseaux de lumières, les Silver Hawks, héritage de l’antique technologie millénaire du royaume d’Amnélia. Rien n’est pour autant perdu, nombre de leurs frères commencent à se disperser dans l’univers. Les premiers signes d’espoir parviennent de Vadis et de la Terre.
SOLAR SYSTEM WAR – DARIUS A.D. 1813 : 161 ans après la renaissance de Darius, et tandis que la résistance se consolide aux quatre coins de l’univers, la fédération spatiale du système Olga reçoit un message de détresse de la planète Terre. Une patrouille de reconnaissance, menée par ceux qui portent les noms des illustres héros du premier exode, partent à bord de la seconde génération de Silver Hawk. Alors que les étoiles défilent sous leurs yeux, ils commencent à entrapercevoir la voie lactée.
RUSHING INTO NEXT ZONE : MUSE VALLEY
BONUS : GAMEST COMIC – DARIUS STORY
Initialement traduit par BlackOak du site Shmuplations.com