Challenge ou l’action de relever un défi qui se présente, challenger quelqu’un, quelque chose, un jeu vidéo qui vous titille et vous torture l’esprit ; qui sous son apparente simplicité cache la réelle complexité d’un médium qui ne se limite pas au seul divertissement mais qui peut s’aborder comme un puzzle à déchiffrer, une énigme à résoudre, une réflexion sur ce qui se passe dans nos esprits et ce qui se déroule sous nos yeux.
1985 était aussi l’année du challenge pour Miki Higashino, qui un an après avoir été diplômée de l’Université d’Osaka, travaillait sans grande conviction chez Konami jusqu’à ce Gradius se présente à elle. Gradius sonne l’envol d’une légende du shoot’em’up tout comme il lança la carrière d’Higashino en tant que compositrice dans le jeu vidéo. Des 13 morceaux qui accompagnèrent le hit de Konami, un titre résonna et continue encore aujourd’hui à résonner dans nos esprits : Challenger 1985. Hymne éternel de Gradius, réminiscence perpétuelle du Volcano stage, immortel à l’image de l’impérissable Big Core, chant infini du challenge sans limite. Et ce challenge est à l’image même de Ben 忍 (Shinobi), insatiable challenger des années 80, avec qui nous allons revenir sur Gradius, et plus particulièrement sur l’épisode de 2004.
Ce présent échange a commencé à germer dans mon esprit, en même temps que mon envie de revenir sur ce dernier grand shoot’em’up que fut Gradius V ; et dont j’avais souvenir que Ben 忍 y avait aussi consacré un nombre d’heures considérables, en s’imposant des contraintes et des défis chaque fois plus insensé pour le joueur moyen. A l’heure où j’écris ces lignes, nous avons conjointement commencé à définir quelques idées clés, mais pas impossible que nous sortions du cadre défini, pour peut-être aborder bien d’autres choses en périphérie du sujet principal. Mais le principe veut que nous débutions avec le challenger de 1985 dans la catégorie shooting games : GRADIUS.
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TYPE I
Lerebours : Avant d’aborder le cas de Gradius V, où et quand as-tu vu, ou mis pour la première fois la main sur un superplay ; qu’il s’agisse d’une vidéo uploadée ou bien d’un produit officiel ? Quelles furent tes premières impressions ? Est-ce qu’en visionnant ces performances, l’envie te venait toi aussi de décortiquer et de te faire la main sur les titres en question ?
Ben 忍 : Pour recontextualiser, il faut remonter il y a plus de 20 ans (en 2001) lorsque je découvrais Radiant Silvergun que j’avais acquis dans sa version arcade. Je ne comprenais strictement rien au gameplay et au scoring, mais je trouvais le jeu d’une richesse et d’une profondeur ahurissante notamment pour ce qui touche au level design et au maniement des armes. J’y ai joué pendant plusieurs semaines sans être capable de le « clearer », et par frustration, j’ai commencé à faire quelques recherches sur la toile.
A cette époque, Internet n’était pas aussi démocratisé qu’il ne l’est aujourd’hui, et on ne trouvait que bien peu d’informations, surtout dans le domaine du jeu vidéo. Il n’y avait ni réseaux sociaux, ni sites de streaming en tous genres. Néanmoins, je suis tombé un jour par hasard, chez Neo-Ayato, un spécialiste du rétrogaming et des produits otaku (nb : Je ne sais pas s’il existe encore ?), sur une VHS de Radiant Silvergun. Je n’avais pas conscience à l’époque que des superplays se vendaient en VHS au Japon depuis presque 15 ans. Cette VHS était donc un run complet du jeu « masterisé » par T3-CYR-WIZ, avec les 2 sections du stage 2 et du stage 4 terminant la partie à plus de 26 millions de points !! J’étais sous le choc de voir des patterns de scoring aussi impressionnant.
Avec le recul, ce qui m’avait surtout ébloui, c’était de voir des patterns de déplacement aussi précis que risqués, mais aussi de comprendre l’ingéniosité et la création des patterns. C’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que maîtriser un jeu ne relevait pas uniquement et simplement du skill ou de la connaissance, mais aussi bel et bien de la compréhension du gameplay et du scoring system. C’est en visionnant ce run que j’ai finis par comprendre que les joueurs Japonais sont issus d’un autre univers que le nôtre pour ce qui touche à la maîtrise d’un jeu vidéo. En effet, ce joueur Japonais (WIZ) a également été capable de concevoir et maîtriser des patterns de scoring sur Ikaruga pour franchir la barre des 36 millions de points seulement environ 1 an après la sortie du bijou de Treasure (nb : son record n’a été battu que plus de 10 ans après, c’est dire la vitesse et degré de compréhension de ce joueur).
Je reconnais avoir acquis un certain « skill » après 20 ans d’entrainement et de pratique mais je sais maintenant que je suis totalement incapable d’avoir ce que possèdent les meilleurs joueurs d’Arcade Japonais, à savoir un « quick brain ». Selon moi, il ne serait pas illogique de pouvoir comparer le cerveau de ces joueurs à ceux des ingénieurs modernes. L’intellect et la compréhension sont à la base de toute forme de performance !!
Avant de découvrir ce superplay en VHS, j’avais commencé à « clearer » en « no miss » quelques jeux d’arcade comme Ghouls’n Ghosts, Shinobi ou Metal Slug mais je n’imaginais pas qu’on pouvait atteindre un tel niveau de compréhension dans le domaine du game system, du gameplay et du scoring system. C’est d’ailleurs à cette époque que j’avais commencé à comprendre que la plupart des jeux d’arcade n’étaient conçus que pour une seule chose : scorer !!
Suite à l’analyse minutieuse de ce run, j’ai donc commencé à comprendre toutes les mécaniques de Radiant Silvergun et j’ai donc logiquement cherché à reproduire les patterns qui me permettraient de scorer efficacement. Ce jeu a d’ailleurs été conçu de telle manière que vous êtes obligé de scorer pour vous en sortir. En effet, seul le scoring et le chaining permettent de booster l’armement à la manière d’un RPG. Un joueur lambda ne pratiquant pas des patterns de scoring ne pourra pas s’en sortir car les boss deviennent, dans la seconde partie du jeu, totalement injouable avec un armement peu évolué.
Je dois reconnaître que 20 ans après avoir découvert cette VHS, je continue à utiliser la même stratégie : observer, analyser et comparer des superplays afin de mieux comprendre ce que le jeu a dans le ventre. C’est un gain de temps considérable plutôt que de découvrir par soi-même les patterns. J’ai parfaitement conscience que cette méthode est surprenante à bien des égards, mais c’est une manière personnelle de concevoir le jeu vidéo par la performance. Faire du gaming juste pour passer le temps sans chercher à comprendre ce qui se passe n’a aucun intérêt pour moi. Je crois que c’est aussi pour moi une forme de reconnaissance envers des créateurs de génie qui sont derrière toutes les lignes de codes de nos jeux favoris. J’espère que les spectateurs qui visionnent un superplay ont bien conscience que si la performance est magnifique, c’est aussi grâce à la qualité des softs de ces développeurs.
Malgré toute la gratitude que je peux avoir envers les joueurs Japonais, il a fallu néanmoins que je me creuse moi-même les méninges pour surpasser les hiscore sur des titres comme Shinobi, Shadow Dancer, Toki, Metal Slug, Cabal, Strider, Legend of Hero Tonma, R-Type Delta, Radiant Silvergun (en story mode)… D’abord parce qu’ils n’existent aucune source vidéo ou de stratégie connue sur certains jeux. Ensuite, à force d’analyser des superplays (existant), on en vient à trouver des choses à revoir ou à améliorer, même lorsque la performance est déjà d’un très haut niveau. Par exemple, la conception d’un pattern que j’ai créé dans Legend Of Hero Tonma, qui consistait à réaliser plusieurs double KO sur le boss du stage 4, était le seul moyen pour réaliser le « counter stop », ce qu’aucun joueur japonais n’a jamais réalisé à ma connaissance. Analyser les meilleurs runs en vidéo est aussi une méthode pour battre des records avant même de tester le gameplay, stick arcade à la main.
L : 20 ans, pour sûr, tu as du forger la lame de ton skill pendant de très nombreuses années, ce qui te permet encore aujourd’hui de continuer à creuser une multitude de jeux. Tu uses toutefois d’un terme dont je n’ai eu connaissance que récemment, à savoir le Double KO. Peux-tu brièvement nous dire de quoi il en retourne tant on l’attache plus spontanément au VS-Fighting, qu’à des titres plus conventionnels. Il me semble aussi que tu avais un projet en cours pendant un moment (qui n’a pas abouti) et qui devait revenir sur ce genre de techniques avancées, peux-tu là aussi nous en dire un peu plus ?
B : A ma connaissance, le terme de « Double KO » est apparu dans Street Fighter II mais il est évident que les développeurs ont sûrement eu l’idée en l’observant dans les sports de combat. Il me semble qu’il y avait aussi un épisode de Rocky avec Stallone où les 2 boxeurs tombaient en même temps après avoir décochés leurs coups en même temps. Historiquement, le premier jeu où j’ai pu observer ce concept est 1942, un jeu de Capcom sorti en 1984.
En effet, on pouvait gagner un très grand nombre de vies grâce à de généreux extends, malgré la difficulté et la longueur hallucinante du jeu. Dans l’avant dernier niveau (qui en réalité était le dernier en termes de difficulté), il fallait combattre un avion géant qui représentait l’unique boss du jeu, et sa destruction rapportait un nombre très important de points. Dans le meilleur run japonais existant (un score final très proche du record mondial), le joueur utilisait donc la destruction de ce boss tout en se suicidant (durant le même timing). Comme tous les jeux de cette époque possédait des « checkpoint », le joueur recommençait ce double KO autant de fois qu’il le pouvait jusqu’à sa dernière vie, puis il finissait par passer le niveau. Cela lui permettait donc d’obtenir les points du boss et de revenir au checkpoint précédent afin de répéter le pattern. Il est intéressant de faire l’analogie avec la dimension rituelle du suicide propre à la cuture japonaise. Ce pattern spécifique de 1942 rappelle étrangement les kamikazes qui effectuaient des missions suicides pendant la grande guerre du pacifique et peut aussi être lié au code d’honneur du guerrier, qui insiste sur sa propre finalité, à savoir la mort.
Le double KO est un concept de scoring passionnant car il est relié à un autre concept que j’ai souvent observé dans les jeux d’Arcade, à savoir l’absence de bonus spécifiques pour les vies restantes en fin de partie. En effet, très rares sont les jeux possédant ce système de bonus final et même parmi les quelques jeux qui le possèdent, on peut généralement gagner plus de points dans les phases de leeching. Les joueurs japonais sont incroyablement doués pour trouver des techniques de leech qui explosent les concepts de scoring des développeurs.
Dans le STG, je ne connais que peu de jeux qui nécessitent un « no miss » obligatoire pour obtenir le record optimal : R-Type Leo, Dragon Breed et Ikaruga… Ce dernier étant réalisé par le maestro Hiroshi Iuchi. J’ai toujours été surpris de ne pas trouver plus souvent ce concept car il a un intérêt lucratif pour les exploitants de Game Center, où le but est tout de même de gagner le plus d’argent possible. Plus il y a de phases de leeching, plus on occupe la borne en prolongeant la partie et moins cela rapporte aux tenanciers. Il est logique que les perdants soient les exploitants et non les développeurs qui, une fois le jeu vendu, se moquent (peut-être) des recettes de leurs titres dans les salles.
J’aimerais néanmoins savoir quelles étaient les relations entre les développeurs et les exploitants qui observaient longuement les joueurs plusieurs mois après la sortie des jeux. Y-avait-il des feedbacks de la part des exploitants pour tenter d’améliorer les futurs jeux des développeurs ? Nous savons aujourd’hui que les « location test » étaient essentiels avant la mise sur le marché, mais existait-il une étude plus approfondie, sur le moyen et long terme, quant à la qualité intrinsèque des jeux ? Comme dans le cinéma, combien de jeux d’arcade ont été reconnus comme des standards bien des années après et influencés le développement des jeux à venir ? Mais peut-être n’y avait-il aucun contact entre exploitants et développeurs ?
Pour en revenir à 1942, il est tout à fait possible qu’il y ait des antécédents utilisant le concept de double KO mais j’ai un doute, car ce jeu est l’un des tout premiers de l’histoire à avoir une vraie fin. 99% des jeux de l’époque étaient multi loop, donc les joueurs n’avaient aucun intérêt à perdre leurs vies pour scorer. Seule l’endurance permettait d’engranger les points nécessaires pour obtenir le hiscore final. Pour rester dans le STG, il existe de nombreux jeux où les records japonais sont réalisés en utilisant ce pattern, très souvent sur les derniers boss puisqu’ils rapportent en général le plus gros bonus. R-Type II, X-Multiply, Pulstar, Image Fight utilisent tous cette technique. J’ai pu de mon côté expérimenter le double KO sur 2 jeux pour lesquels j’ai réussi à battre les records japonais : Juju Densetsu (Toki) et Legend of Hero Tonma. Les jeux d’Arcade nécessitant cette technique sont à mon sens très nombreux : Black Dragon, Toki, Legend of Hero Tonma, Chelnov… Sans compter un nombre important de Versus Fighting utilisant cette technique remontant aux débuts de SFII. Peut-être que mon vieil ami italien Gemant, historien spécialiste des records Arcade, pourrait me donner une liste plus précise.
Concernant le projet faisant suite à l’émission Superplay, j’ai eu l’idée de continuer l’aventure malgré la disparition de Nolife. Le concept m’était justement venu après avoir battu mon hiscore sur Toki et Legend of Hero Tonma, où je pratiquais le double KO. J’avais eu l’idée de reprendre le principe de l’émission mais en la modifiant quelque peu. Au cours des nombreux tournages que j’ai pu faire avec Nolife, je me suis souvent heurté à un problème pédagogique : comment expliquer une technique de scoring complexe qui se déroule parfois en l’espace de 2 ou 3 secondes à l’écran. J’en avais souvent parlé avec Alex qui avait légèrement modifié la présentation de Superplay lorsque Genshi Tony était devenu le nouveau présentateur. Lorsque j’avais tourné un Superplay sur Raiden Fighters avec A-M, je me souviens que la présentation que j’avais réalisé au niveau du gameplay et du scoring system était quasiment aussi longue que le run lui-même… J’avais estimé nécessaire cette présentation car je savais qu’il me serait impossible d’expliquer dans le temps imparti, toutes les techniques et les secrets au regard de la violence et virulence du jeu de Seibu.
Lorsque j’ai demandé l’avis d’Alex et Radigo de continuer l’émission en modifiant le concept, ils étaient très positifs quant à cette idée. Mon but était de ressusciter le concept de « Superplay Pocket » que Radigo avait créé en 2007. Beaucoup l’ont oublié mais les premières émissions étaient des formats courts (environ 5 mn) où l’objectif était d’expliquer les techniques générales d’une performance où on ne montrerait qu’une infime partie d’un run. De mémoire, seules 3 émissions ont connu ce concept : Gradius V, Bubble Bobble et Darius Gaiden. Le problème de ce format était qu’il fallait 10 fois plus de temps pour monter une émission qui ne durait que 5 minutes alors qu’un « Superplay Ultimate » (entre 30 et 60 minutes) était tourné en direct (one shot) et ne nécessitait qu’un montage très court en incrustant le run aux commentaires. Le concept a donc logiquement été abandonné mais le principe pédagogique était génial en soi.
Relancer ce concept qui détaillerait ce qui peut se passer au niveau microscopique durant une performance et dévoiler la richesse d’un jeu en décortiquant une situation de quelques secondes au milieu d’un run complet était mon objectif. Globalement, je trouvais l’idée séduisante d’expliquer une phase de gameplay complexe de 5 secondes en 5 minutes, voire plus. J’avais aussi imaginé des émissions de concepts tournant autour de la performance avec des techniques tels que le leeching, le bullet herding, le double KO, la façon de s’entraîner… Je suis persuadé que les idées n’auraient pas manqué surtout avec d’autres joueurs qui se seraient greffés au projet et auraient pu amener d’autres concepts. J’avais déjà cette idée d’émissions en tête à l’époque de Nolife, mais le temps de préparation en amont du tournage aurait été fastidieux et peut-être aussi aurais-je été le seul à voir l’intérêt de ce genre d’émission ? Déjà que Superplay était vu comme une émission « ovni » du paf, alors aller plus loin aurait peut-être été une erreur ? Quoiqu’il en soit, je trouvais le concept intéressant pour une émission web en streaming.
Malheureusement Nolife avait disparu et la motivation de chacun en avait pris un coup. Je me suis d’ailleurs rendu compte par la suite, que je souhaitais relancer un nouveau concept uniquement parce que je n’ai jamais accepté la disparition de la chaîne… Encore aujourd’hui, il m’arrive de verser quelques larmes quand je revois Nolife en streaming. Et pas que Superplay bien sûr. Cette chaîne a laissé orphelin un très grand nombre de geeks dont je fais partie. Mon éloignement de Paris, les occupations de chacun et bien sûr la crise du Covid-19 a éloigné tout le monde et il n’est pas question de relancer la machine pour le moment, mais qui sait de quoi est fait l’avenir…
L : Il existe depuis de nombreuses années, bien avant l’avènement des DVD/Blu-Ray, des vidéos officielles consacrées aux Superplay (VHS, Laserdiscs). Pour certains passionnés, il s’agit aussi d’objets de collection à part entière, et qui dit produits rares, dit aussi sommes astronomiques. As-tu suivi l’évolution des prix, si marché il y a, et est-ce que ceux-ci ont stagné avec la diffusion massive de performances sur les plateformes de vidéo ? Par ailleurs quel a été ton propre ‘’circuit’’ pour mettre la main sur des Superplay ?
B : Lorsque j’ai appris au début des années 2000 qu’il y avait un marché Japonais consacré aux Superplay, j’ai tenté de me procurer les démonstrations des jeux qui m’intéressaient. Malheureusement, je me suis vite rendu compte que les VHS étaient produites à peu d’exemplaires et donc assez chères car adressées à un marché de niche (même au Japon). De plus, il y a un autre paramètre à prendre en compte, c’est l’aspect « bootleg » du concept, à savoir, qu’il existait les VHS officielles vendues par Gamest/Shinseisha d’un côté et de l’autre les VHS conçues par des vendeurs/éditeurs « indépendants ». La VHS que je m’étais procurée sur Radiant Silvergun était une édition non officielle mais avec un run d’une qualité bien supérieur à la version officielle distribuée par Gamest quelques mois plus tôt (un score de 26 millions sur la version bootleg contre « seulement » 24 millions sur l’édition Gamest).
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’évolution des Superplay en VHS, Laserdisc, DVD/Bluray est étroitement lié à la qualité de la performance. Autrement dit, le run de Radiant Silvergun à 24M de la version officielle est devenu « obsolète » lorsque 3 mois après est arrivé sur le marché du bootleg un run de 26M. J’imagine que pour les collectionneurs, les anciens Superplay officiels avec notamment les Laser Disc de RayForce ou Raystorm doivent se vendre à des prix élevés. Mais n’étant pas fétichiste par nature, je n’ai jamais trop suivi le marché surtout depuis la démocratisation d’internet et des plateformes de streaming, où l’on peut dorénavant découvrir ces vidéos.
Depuis le début des années 2000, il existe un éditeur auquel il faut rendre un hommage particulier, c’est INH (Insanity Naked Hunter) produit par Minoru Ikeda, le tenancier de la célèbre salle d’Arcade Mikado à Tokyo. Il a produit et publié un nombre de coffret Superplay DVD d’une rare qualité avec des livrets et des OST très complètes. Les plus grands STG y sont passés : Battle Garegga, Raiden Fighters series, Mushihimesama, Ketsui, Raiden 1/2/DX/3, Under Defeat, Trizeal, XII Stag… Les performances proposées sont d’une qualité époustouflante puisque certains runs restent à ce jour les records mondiaux. Je reconnais avoir beaucoup appris de ces performances sur des jeux comme Raiden, Raiden Fighters, Trizeal… Il n’est pas rare de voir les prix s’envoler sur certains de ces coffrets (150€/200€) surtout du fait de cette qualité de production dont seuls les Japonais ont le secret.
Pour être franc, je n’ai pas acheté de superplay depuis de très nombreuses années, puisque les replays se trouvent assez facilement sur les sites de streaming. Mais pour ceux qui seraient intéressés, je recommande le site game-tanteidan qui vend aussi bien des produits officiels, qu’officieux, mais aussi des OST :
http://www.game-tanteidan.com/eshopdo/refer/refer.php?sid=ns90262&cid=7&vmode=
http://www.game-tanteidan.com/eshopdo/refer/refer.php?sid=ns90262&cid=5&vmode=
L : En parlant de Superplay, quand et avec quelles personnes as-tu commencé à aborder le sujet d’une émission dédiée à la performance vidéo ludique ? D’ailleurs est-ce que cela allait dans une forme de continuité avec certains projets du temps de Game One (Alex Pilot) et Shmup.com (Radigo) ?
B : Là encore, il faut recontextualiser. J’avais commencé à publier sur la toile des runs sur le site superplay.co.uk en 2002. Il y avait un Anglais du nom de Robert Page qui avait monté un serveur dédié aux performances vidéo ludiques. En vérité, j’ai découvert par la suite que c’était une petite communauté de joueurs anglais spécialisées sur Ikaruga. Ils avaient d’ailleurs à l’époque un niveau exceptionnel, ils étaient clairement les meilleurs joueurs occidentaux sur le titre avec SnapDragon. En ce temps, je commençais à maîtriser Radiant Silvergun, ils ont été intéressés par des publications du père d’Ikaruga. Puis de fil en aiguille, ils ont accepté de publier n’importe quel run orienté Arcade/Retrogaming.
Grâce à toutes ces parties publiées sur ce serveur, Alex Pilot et Tommy (ndlr : Tommy François, ex-chroniqueur sur la chaîne GameOne) m’ont contacté en 2004 car ils avaient vu que je maîtrisais les 4 premiers Metal Slug (le 5e venait tout juste de sortir). Ils souhaitaient réaliser un documentaire sur la saga culte de SNK et ils n’avaient que peu d’interviews à proposer puisque Playmore avait repris SNK, mais les développeurs des jeux originaux n’étaient plus « accessibles ». En revoyant ce documentaire, il est évident que les développeurs de Metal Slug (Akio et Meeher) auraient eu des choses plus passionnantes à raconter que ce que j’avais à dire au sujet de leurs jeux.
Lorsque nous avons enregistré les interviews et les saisies de gameplay, Alex m’avait proposé de commenter tout le run de Metal Slug que j’avais « one lifé » en difficulté maximale. Je ne comprenais pas du tout l’intérêt que ça pouvait avoir à l’époque mais j’ai compris qu’il espérait pouvoir diffuser le run sur GameOne et qu’il fallait un « habillage » audio pour expliquer ce qui se passait à l’écran. Malheureusement, ou fort heureusement, car j’avais réalisé un monologue de 45mn surement très ennuyeux, le run n’a jamais été diffusé sur la chaîne. Quoi qu’il en soit, Alex avait créé sans le savoir, l’émission Superplay qui verrait le jour 3 ans plus tard, lors de la naissance de Nolife sur les petits écrans.
Lorsqu’en 2007, j’ai appris que mon vieil ami Radigo était entré dans l’équipe de Nolife (dès sa création), et qu’il allait diriger l’émission Superplay en tant que présentateur et monteur, j’étais ravi de pouvoir leur apporter mon aide. Pour l’anecdote, c’est Radigo qui a eu l’idée du terme et du nom « Superplay » pour l’émission. Cette idée remonte bien sûr à l’époque où l’on « uploadait » des vidéos sur le site superplay.co.uk.
Il faut se remémorer cette époque, mais l’émission de Nolife était sacrément novatrice. Les sites de streaming n’existaient pas en 2007 et c’était très compliqué de visionner une performance sur la toile. Faire une émission TV où l’on pouvait montrer des hiscore mondiaux tout en les commentant, c’était surréaliste et beaucoup de gens nous ont pris pour des fous, mais aujourd’hui, le Superplay commenté en streaming est devenu monnaie courante. Alex, avec Nolife, en a été le pionnier !!
Cette émission m’a aussi permis de faire le lien avec ce que j’expliquais un peu plus haut, à savoir la compréhension d’un gameplay et d’un scoring system. La première chose qu’on peut observer immédiatement dans un superplay, c’est le skill du joueur, c’est la question du comment. Mais on en oublie trop souvent la question du pourquoi ? Pourquoi utiliser cette arme-là, à cet endroit, pourquoi laisser un ennemi en vie à cet endroit, pourquoi se suicider sur tel stage… Les commentaires dans les émissions permettaient enfin une approche pédagogique et didactique du pourquoi. Avant la création de l’émission, on se contentait de regarder un run sans comprendre tout ce qu’il y avait derrière. Je pense que le vrai succès de Superplay reposait davantage sur la compréhension de la performance que sur le skill du joueur. L’œil ne voit que la surface des choses.
L : En parlant de ne voir que la surface de choses, on pourrait parler du backstage, où de comment tu appréhendais pour la première fois, un exercice qui n’avait jamais été réalisé jusqu’alors en France. Je veux dire par là qu’il n’y avait pas de modèle type auquel se référer, avant de se jeter dans le bain, vu que toi-même tu expliques que la « préquelle » que fut ton run de Metal Slug, t’avait laissé dubitatif. Comment toi et Radigo avez appréhendé ce problème ? D’ailleurs vu que l’émission a eu par la suite son lot de participants, avec lesquels as-tu eu le plus de contact et échangé ; et eux-mêmes te parlaient-ils de l’appréhension de se prêter à l’exercice ? A titre personnel, je reconnais que j’étais un peu stressé, comme à la veille d’un examen (SP #66 – Castlevania Vampire Kiss), et que pour me rasséréner j’ai visionné ton run d’Ikaruga, essentiellement pour cerner ton approche du commentaire.
Comme je l’expliquais précédemment, les origines de Superplay remontent a bien avant la création de Nolife et si j’étais resté dubitatif quant à cette première expérience de commentaire, c’est justement parce que la pédagogie en était absente. Alex m’avait expliqué avant l’enregistrement qu’il y aurait peu de chance que ce run de Metal Slug soit diffusé. De plus, j’avais fait un monologue de trois quart d’heure qui n’avait pas beaucoup de sens. Parler seul face à un écran m’a toujours paru du dernier ridicule et c’est pourtant ce que font 99% des « let’s play » de nos jours.
Lorsqu’on a commencé à aborder le concept de l’émission, le but était avant tout de partager, d’abord avec Alex et Radigo, mais aussi avec tous les futurs téléspectateurs qui allaient suivre les émissions. Mon objectif n’a jamais été de partager mes performances et mes compétences mais uniquement mes connaissances. Avoir une personne comme Radigo qui comprend le jeu vidéo comme peu de personnes, a été une aide très précieuse sur le plan didactique. Étant développeur de profession, il comprenait à une vitesse incroyable les gameplays, les scoring system et les patterns de jeux qu’il ne connaissait pas du tout. Lorsque nous avons d’ailleurs inversé nos rôles pour l’émission de Night Raid, je me suis rendu compte de cette compréhension intuitive qu’il a (et que je ne possède pas) pour appréhender un jeu vidéo. Avoir des choses pertinentes à dire est une chose, ça c’était le fond. Mais avoir un interlocuteur comme lui qui posait les bonnes questions au bon moment et comme il faut, ça c’était la forme. Je crois que c’est cette alchimie qui a fait que les émissions ont autant été appréciées dès le début de la chaîne. Bien sûr, je ne peux pas oublier les autres présentateurs tels qu’A-M, DamDam, Genshi Tony (ainsi qu’Alex) qui ont amené d’autres choses et tout aussi passionnantes.
Il était essentiel pour le succès de Superplay, que je ne sois pas le seul à venir présenter des jeux car l’émission aurait vite tourné en rond. Il fallait donc d’autres types de joueurs, de jeux, de styles de performances comme le speedrun. Étant d’un caractère plutôt réservé, ce n’était pas naturel pour moi d’aller voir d’autres joueurs pour les motiver à venir participer à l’émission. Radigo était bien meilleur que moi dans ce domaine. Cependant, de nombreux joueurs sont venus vers moi lorsqu’ils ont vu les premières émissions, comme A-M, Yace, BOS, DamDam… et Lerebours !! J’étais ravi que Superplay provoque un enthousiasme chez les joueurs français. Nous avons donc facilement échangé à ce sujet aussi bien grâce au forum de la chaîne, mais aussi de manière plus personnelle par mail.
Il y avait néanmoins un revers à la médaille. En effet, Alex m’avait expliqué que certains joueurs n’osaient pas soumettre leurs runs après avoir vu certaines émissions, car ils estimaient que j’avais placé la barre trop haut. J’avoue avoir été décontenancé par cette remarque car je n’aurais jamais imaginé que mes runs pourraient impressionner à ce point. Du coup, grâce au forum de Nolife, j’ai pu faire de la pédagogie et faire en sorte de mettre tout le monde à l’aise. Le but de l’émission n’était pas de mettre en concurrence les joueurs, mais plutôt d’apporter des connaissances et oublier le fameux « qu’en-dira-t-on… ».
Par exemple, je n’avais aucune connaissance sur le Castlevania Vampire Kiss que tu étais venu présenter, donc je ne vois pas pourquoi tu devais te sentir stressé puisqu’il n’y a rien à comparer avec le Superplay sur Ikaruga (note de l’interviewer : Bien que les deux jeux soient fondamentalement différents, il s’agissait uniquement de cerner l’approche en termes de commentaire). Les deux émissions apportaient son lot de connaissances et c’était pour moi tout ce qui importait. En repensant à la remarque d’Alex, j’ai motivé une autre personne qui n’aurait peut-être jamais osé venir participer à Superplay. Etant d’un naturel discret, je ne le nommerai pas ici mais il se reconnaitra. Les 3 performances sur des STG qu’il est venu présenter sont d’une qualité exceptionnelle et je suis heureux de l’avoir poussé à franchir les portes de Nolife.
Puisque tu avais visionné et écouté mes commentaires sur le Superplay d’Ikaruga pour te préparer, je peux maintenant avouer que je ne planifiais quasiment rien en amont des tournages. Toutes mes connaissances sur les jeux et les performances que je venais présenter étaient tellement ancrées dans mon esprit grâce aux milliers d’heures d’entraînement, que je n’avais pas besoin de préparer un discours préformaté. Mon expérience personnelle des choses m’a toujours démontré que plus on anticipe un événement et plus on a de chance que ce dernier ne se déroule pas comme on l’a prévu. Naturellement, j’ai toujours agi de manière très intuitive durant les tournages en ne préparant rien à l’avance. Il est probable que mon expérience professionnelle de la pédagogie m’a considérablement aidé afin de rester didactique au cours de mes commentaires. Je dois aussi avouer que je ne prépare plus aucun cours dans mon boulot d’éducateur sportif depuis des années. Je suis pourtant persuadé d’être un meilleur enseignant aujourd’hui qu’à l’époque où je préparais mes cours. Rien ne remplace l’expérience.
Concernant les émissions tournées avec un gameplay live : Shinobi, Solomon’s Key, Gradius V, Strider, Hi Shoo Zame, Rastan Saga, Mizubaku Daibouken, Kung-Fu Master et Bomb Jack (ce dernier n’avait pas pu se finaliser à cause d’un problème technique de playback d’INP), mon approche était exactement identique. Dans un tournage où je jouais et parlais en même temps, je savais très bien que beaucoup de paramètres seraient incontrôlables : les boutons de la borne qui ne répondent pas, des patterns que je ne parviendrai pas à montrer à cause d’un miss, le présentateur qui me pose une question alors que mon esprit est focalisé sur autre chose, les distractions extérieures propres aux bureaux de la chaîne… Bref, tout était possible au cours des tournages. Plutôt que de tenter d’anticiper l’inconnu, je préférais faire confiance à mon intuition qui ne me fait plus défaut depuis que je pratique la méditation. Certains pensent qu’on peut être protégé par un ange gardien ou par la chance.
Lorsque j’écoute de nombreux artistes avouer qu’il est logique de stresser avant d’entrer sur scène, je leur répondrai que seuls, le calme, le relâchement, la détente physique ou mentale, et la paix intérieure peuvent permettre de sortir le meilleur de nous-mêmes, mais certainement pas la peur. Je ne dis pas que je n’ai jamais été stressé au cours de ma vie, j’ai simplement pris conscience que cette émotion n’a aucun intérêt si l’on cherche à obtenir un résultat efficace. Pour répondre aux personnes qui s’interrogent sur les capacités nécessaires pour jouer et commenter en live, je leur répondrai que seule la gestion émotionnelle est à travailler pour optimiser ce genre de situation. Beaucoup de personnes arrivent à parler et conduire leur voiture en même temps. Ils n’ont simplement pas conscience que c’est une compétence inconsciente et naturelle qu’ils ont acquise grâce à une hygiène émotionnelle adéquate.
L : Mine de rien, tu auras été l’un des joueurs les plus prolifiques de l’émission, finalement du début jusqu’à la fin de Nolife. Tu es au commentaire avec presque tous les présentateurs de l’émission (hormis Damdam, si je ne me trompe pas), et j’aurais souhaité savoir si l’exercice en avait été altéré avec chacune des personnes ayant pris le relai de Radigo, je pense notamment à A-M & Genshi-Tony.
Ayant participé à plus d’une quarantaine d’émissions Superplay entre 2007 et 2018 (sans compter les Big Bug Hunter, Debug Mode et l’un des épisodes des Oubliés de la Playhistoire), j’ai en effet tourné avec tous les présentateurs hormis DamDam, ce que je regrette beaucoup. Comme je l’avais expliqué précédemment, Radigo est un très bon ami que je connais depuis les débuts de shmup.com (2003) et en dehors des tournages, je venais aussi sur Paris pour le voir et passer du temps avec lui et sa femme. Lorsqu’il a abandonné officiellement son poste de présentateur, je trouvais délicat de venir passer les week-ends chez lui et devoir tourner avec d’autres personnes. J’avais donc demandé à Alex s’il serait d’accord pour que je continue en duo avec Radigo et il a été d’accord. Je sais que DamDam m’en a un peu voulu et je la comprends parfaitement. Probablement que j’aurais réagi de la sorte si j’avais été à sa place. Je tiens à préciser que j’ai beaucoup d’estime pour elle, son implication dans le Stunfest et dans la Team Superplay Live, ont été autant d’événements essentiels pour accroître la communauté Superplay francophone.
Quoi qu’il en soit, Radigo était de plus en plus occupé par d’autres projets et il est arrivé qu’il ne soit pas disponible lorsque je venais à Paris (nb : j’avais moi aussi mon emploi du temps avec des contraintes professionnelles). J’ai donc tourné progressivement avec A-M, Alex et bien sûr Genshi Tony. J’aurais naturellement fini par tourner aussi avec DamDam mais je crois qu’elle n’habitait plus sur Paris à compter d’une certaine époque. J’espère avoir un jour l’occasion de la croiser à nouveau (nb : nous nous étions rencontrés au Chibi Japan Expo de 2008) pour faire mon « mea culpa ».
Pour en revenir à ta question, chacun des présentateurs avaient leurs qualités, leurs personnalités et leurs compétences. Radigo était développeur professionnel, il avait donc une vision analytique très profonde des jeux avec une compréhension impressionnante des gameplay, du level design et des systèmes de scoring. A-M avait un regard plus proche du mien puisqu’il avait un immense talent de hardcore gamer. Comme il était aussi un grand amateur de bug (Big Bug Hunter était mon émission favorite de Nolife), je me souviens lui avoir fait plaisir lors de notre premier tournage avec l’émission consacré à Solomon’s Key (en live sur la borne) où le premier pattern du stage 1 est de fait un bug. Concernant l’unique tournage d’Alex dans Superplay, la raison en était simple. Personne n’était disponible le week-end où je venais et il était le seul à pouvoir me donner la réplique. De plus, le jeu que je venais présenter était un titre qui le tenait particulièrement à cœur puisqu’il s’agissait de Boulder Dash, que je mets volontiers dans le top 5 des plus grands jeux vidéo de l’histoire, ni plus, ni moins ! Être au côté du créateur de cette chaîne légendaire, pour une émission que je savais unique, était pour moi très spécial. D’autant qu’Alex est devenu au fil des années un très bon ami pour qui j’ai beaucoup d’estime. Sa connaissance de Boulder Dash, jeu entièrement conçu par Peter Liepa, m’avait vraiment impressionné. On sentait bien qu’il n’avait pas juste potassé le gameplay ou l’histoire de ce jeu, juste pour l’occasion, mais qu’il avait vraiment passé du temps sur ce titre.
Mon expérience avec Genshi Tony, comme avec les autres présentateurs, a été elle aussi très différente mais fructueuse à la fois. Son travail de journaliste professionnel en amont des tournages était très impressionnant. Il recontextualisait admirablement bien les jeux sur le plan artistique et historique alors qu’ils ne les connaissaient pas forcément à la base. Je me souviens d’une anecdote sur le tournage live de Strider où il avait tenté de me déconcentrer (voyant que le jeu était assez « facile » pour moi) avec des questions de type jeux TV sur les Tilt d’or… Un vrai présentateur, journaliste et animateur à la fois, pour qui j’avais aussi beaucoup d’admiration.
Toutes ces personnes, aux regards si différents, ont fait de Superplay l’une des rares émissions de Nolife à avoir tenu en haleine les téléspectateurs de Nolife de 2007 à 2018.
L : Au demeurant qu’est-ce que cela fait de passer l’autre côté de la barrière, lorsque l’on inverse les rôles le temps d’une émission, comme celle dédiée à Night Raid avec cette fois Radigo dans le rôle du joueur ? Tu y es allé la fleur au fusil ou bien as-tu décortiqué le run et ses mécaniques en amont avec Radigo ?
B : Comme je le disais à l’instant, je connais Radigo depuis un bon moment et ses qualités de développeur lui permettaient de comprendre très rapidement les runs que je venais présenter. En général, je lui montrais une fois le replay (pas dans son intégralité le plus souvent) et je lui expliquais toutes les subtilités de gameplay. Mais 9 fois sur 10, il comprenait intuitivement l’ensemble, avant même que je lui explique. J’étais toujours impressionné par sa vitesse à capter ce qu’il se déroulait, tout comme lui pouvait l’être en visionnant mes runs.
Au sujet de l’émission dédiée à Night Raid, il hésitait depuis longtemps à venir présenter un run sur ce STG plutôt étrange. Cela faisait longtemps que nous blaguions à l’idée d’inverser nos rôles pour Superplay, mais le plus gros souci était de lui faire prendre conscience qu’il avait le niveau en termes de skill, de performance et de pédagogie pour prendre enfin la place du Superplayer et laisser sa place de présentateur. De mémoire, nous avons totalement improvisé ce tournage, si bien que 24 heures avant, rien n’était prévu, mais j’ai insisté lorsque je suis arrivé à Paris ; et comme nous venions de tourner plusieurs émissions dont celle de Gradius V (en live), nous en avons profité pour tenter l’expérience. Avec le recul, j’ai trouvé sa performance vraiment géniale, sur ce jeu complètement déroutant, mais bénéficiant d’un système de score comme je les aime. Bien tordu donc.
Pour ma part, on sentait bien que je n’avais rien préparé en amont. Je me souviens avoir eu beaucoup de mal à conclure l’émission. C’est con, mais dire au revoir aux téléspectateurs est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Cette expérience fut plutôt déconcertante pour ma part, mais Radigo était tellement heureux d’avoir présenté un run sur un STG qui lui tenait à cœur, que j’étais très heureux de l’avoir poussé à réaliser son rêve.
L : En parlant d’A-M & DamDam, j’ai le sentiment qu’à l’époque où ils furent aux manettes de Superplay, qu’ils ont voulu mettre en valeur une autre pratique du Superplay, à savoir le speedrun. Peut-être que je me trompe mais cette discipline me paraît bien plus rattachée aux titres consoles. As-tu eu connaissance, ou même vu ce genre de pratiques, sur des jeux exclusivement issus de l’Arcade ? Toi-même as-tu suivi ce genre de pratique et qu’en penses-tu en regard de ta propre expérience vidéoludique ?
B : Je crois qu’A-M et DamDam étaient tout simplement plus passionnés par la performance vidéo ludique de manière générale (Arcade et console). C’est vrai que ma passion pour l’Arcade m’a toujours amené vers le « high scoring » grâce aux organismes de références comme Gamest, Arcadia et JHA qui permettent de référencer tous les records. Twin Galaxies référence également les hiscore sur les jeux micro et consoles mais il faut bien reconnaître que le développement de ces titres n’est pas spécialement orienté vers des « scoring system » élaborés. Il est difficile de dire pourquoi les jeux consoles sont plus utilisés pour faire du speedrun. Je crois que tous les jeux d’arcade peuvent également se prêter à l’exercice de mon point de vue. J’étais venu présenter un run sur The New Zealand Story qui ne se prêtait pas du tout à l’exercice du scoring. Du coup, comme ce jeu regorge de secrets et de warp zone en tout genre pour finir le jeu plus rapidement, je me suis dit qu’un speedrun pouvait être une bonne occasion de mettre ce jeu en valeur.
Je pense que les jeux consoles (surtout la période 8/16 bit) sont de manière générale plus « buggés » que les jeux d’Arcade, donc peut être plus propice à être exploité pour accélérer le « clear » d’un jeu. Mais n’ayant qu’assez peu d’expériences dans le domaine des jeux consoles, je ne saurais pousser l’analyse plus loin. Les jeux d’Arcade ayant un but plus lucratif, sur un seul crédit, ils ne peuvent se permettre d’avoir autant de bugs que les jeux consoles. On peut quand même noter quelques exceptions comme Double Dragon que j’étais venu présenter lors d’un Superplay spécial, en hommage à Mr Kishimoto, le créateur du jeu. Les nombreux bugs permettaient là encore de « clearer » le jeu en mode speedrun.
Quoi qu’il en soit, le speedrun est un genre à part entière qui emprunte largement aux anciens jeux d’Arcade, dans lesquels on recherchait aussi le hiscore. Lorsqu’on analyse les techniques de scoring sur les « vieux » jeux d’arcade, on s’aperçoit que tous les joueurs font du speedrunning sur la moitié de leur run. En effet, dans des jeux comme Shinobi, Toki, Strider, Metal Slug et tant d’autres, le but est de trouver les zones de leeching les plus lucratives, mais comme il y a toujours un dénominateur temporel (un timer) commun à tous ces titres, qui empêche donc de rester sur place, le scoreur va toujours s’empresser de rejoindre les zones de leech le plus rapidement possible. Et les quelques secondes perdues ici et là, peuvent coûter un grand nombre de points. L’adage qui proclame que dans notre belle société : « le temps, c’est de l’argent… » s’adapte facilement au monde de l’Arcade : « le temps, c’est du score… ».
Le speedrun est juste une amplification des techniques de scoring qu’on a vu depuis les débuts des jeux d’Arcade. Il est amusant de noter le parallèle qu’il y a entre notre société qui évolue sans cesse vers « le plus vite possible » et les jeux vidéo, qui de nos jours ne sont plus pensés que par et pour le speedrunning. Combien de jeux consoles actuels possèdent des ranking online liés aux hiscore (nb : je mets à part les portages de jeux d’Arcade sur consoles) ? Le développement des jeux est entièrement tourné vers le speedrun. Je n’ai rien contre cette évolution ludique mais ma nature taoïste m’a toujours intuitivement amené à me tourner vers le ralentissement et non vers l’accélération des choses. Voilà pourquoi, je n’ai que rarement été amené à pratiquer le speedrun. Mais je reconnais que le travail sur les patterns est tout aussi complexe que ceux liés au scoring. Je crois que quel que soit le type de record que l’on recherche, la réflexion, la compréhension du gameplay et du level design sont à la base de toutes performances.
L : Ces dernières années, on a vu naître sur le net des ersatz de l’émission (Twitch, let’s play,…). On parle même maintenant d’Esport pour désigner la maîtrise et la performance dans le jeu vidéo (à entendre au sens large du terme). Qu’en penses-tu et quel regard portes-tu sur la diffusion virale de ce genre de contenus ?
L’émission Superplay était véritablement le précurseur de ce que l’on peut voir aujourd’hui sur Twitch et Youtube. Où en serait la performance « let’s play » si Nolife n’avait pas existé ? C’est une question que je me pose souvent. Peut-être que Marcus serait encore plus reconnu et même millionnaire ?
Au sujet de l’Esport, les origines sont très différentes et bien plus anciennes. Il existait déjà des compétitions de jeux en réseau par équipe dans les années 90. La différence majeure avec la situation actuelle vient de la professionnalisation de l’activité avec la sponsorisation massive de ce genre d’activité. Il est très difficile pour moi de porter un regard critique et objectif sur cette situation. D’abord parce que je n’ai aucune affinité particulière avec les jeux online et ensuite parce que j’ai toujours eu du mal à associer passion et argent, qui ne font en général jamais bon ménage. J’ai toujours participé de manière désintéressée aux émissions de Nolife et je crois qu’il en était de même pour au moins 80% des intervenants qui fabriquaient la chaîne. J’ai aujourd’hui assez de relations pour savoir que les joueurs japonais proposant leurs performances sous forme de DVD (officiel ou non), le font également de manière altruiste et bénévole.
La différence majeure se fait surtout sur le type de jeu à maîtriser. Je veux dire par là que si on « performe » des jeux « bankable » comme Warcraft, Starcraft, Call of Duty ou Fifa, on aura forcément des sponsors qui mettront de l’argent sur la table… Est-ce qu’un sponsor serait prêt à payer des joueurs pour voir des performances sur DoDonPachi ou Ikaruga qui nécessitent peut-être davantage de qualités que les jeux en réseau ? C’est une question qui mérite réflexion.
Pour aller plus loin sur le sujet, je crois aussi que les conventions et les salons ont énormément apporté à la pratique du Superplay (du moins en France et en Europe). Quand on voit le niveau des dernières éditions du Stunfest qui ont accueilli un Wasshoï Européen avec les meilleurs joueurs japonais réalisant des performances live de très haut niveau, on peut légitimement penser que ces manifestations sont autant de vecteurs quant à la démocratisation du superplay, que Twitch ou Youtube.
L : Vu que tu parles du Wasshoï en Europe, sauf erreur de ma part, il me semble que l’équipe du Stunfest t’avait déjà contacté, fut un temps, pour justement faire de la performance live lors de l’événement. Ce qui n’a jamais semblé t’intéresser, tout comme des commentaires vidéo sur Youtube via des connaissances communes. Très souvent, je t’ai entendu dire que tu appréciais l’approche humaine de l’émission Superplay. Peux-tu nous en dire plus ? N’est-ce pas justement l’aspect artisanal à contrario du grand spectacle, avec ces bons et mauvais côtés, qui est au cœur de tout cela ?
B : En effet, c’est une excellente question car la base de toute mon activité de hardcore gamer, n’est pas forcément de battre des records, mais bel et bien de partager mes connaissances. Ma passion pour la performance représente le moteur même de ce partage. Il y a 20 ans, lorsque j’ai commencé à comprendre les mécaniques de Radiant Silvergun, j’ai pensé de manière altruiste qu’il fallait les partager non pas pour montrer les patterns, mais surtout pour les faire comprendre à d’autres.
Ma rencontre avec Radigo s’est faite autour du célèbre shmup de Treasure. Et lorsque j’ai rencontré Alex pour la première fois lors du documentaire qu’il réalisait sur Metal Slug (avec Tommy), nos conversations portaient les trois quarts du temps sur Gradius V, qui venait de sortir, mais surtout sur Radiant Silvergun et Ikaruga. Il y avait pourtant beaucoup de choses à dire sur Metal Slug, mais Treasure prenait déjà le dessus dans nos échanges. Il était évident qu’Alex, Radigo et toutes les personnes que j’ai rencontré dans la communauté voyaient en moi cette passion et je pouvais discerner chez eux une réceptivité fascinante qui renforçait l’aspect humain de nos relations.
Lorsque Nolife a démarré avec le peu de moyen matériel et financier que l’on connaît aujourd’hui, le côté « humain » était nécessaire pour trouver la volonté de monter une chaîne de TV avec trois bouts de ficelles. Je ne dis pas que je n’aurais pas aimé avoir plus de moyens pour les émissions, mais je sais que le confort matériel a tendance à diminuer la qualité des échanges.
Lorsque le Stunfest a pris une certaine ampleur vers 2010, j’ai commencé à suivre cela de très près, notamment avec l’arrivée du Wasshoï Européen. Mais je trouvais l’aspect didactique un peu trop « grand public » même si je le comprenais parfaitement, car tout le monde n’était pas forcément familier avec l’univers du STG, surtout lorsqu’il est pratiqué par les meilleurs joueurs japonais. Néanmoins, j’ai tout de suite ressenti un certain écart avec ce que nous faisions du côté de Nolife. Les performances étaient certes hallucinantes, mais la rupture au niveau des commentaires qui, n’étaient pas mauvais en soi, n’étaient pour autant pas suffisamment précis en regard de ce qui se passait à l’écran. Il m’a toujours semblé compliqué de commenter le run d’un autre joueur, car on ne ressent pas tout ce qui se passe, surtout si on ne possède un niveau très élevé sur le jeu. Comme on le dit très souvent dans le milieu littéraire : Traduire, c’est trahir… Lorsque j’ai pu observer le niveau de didactique de la Team Superplay Live, je me suis rendu compte que des spécialistes tels qu’A-M & DamDam étaient derrière cette association. Le niveau des commentateurs était bien plus propice en regard des performances et on sentait bien que les joueurs venant présenter leur run étaient d’un niveau très proche des commentateurs.
Pour en revenir à l’aspect humain, il est évident que le Stunfest a été une très grosse claque sur le plan émotionnel, personne ne pourra ne pourra le nier, mais le côté grand spectacle n’a jamais été mon fort. Bien que je souhaite partager avec un maximum de monde, la foule ne m’a jamais attiré pour jouer en live. Le côté exigu, calme et feutré des tournages de Superplay me correspondait davantage, et surtout donnait l’avantage de commenter sa propre performance. Qui d’autre est le mieux placé pour pouvoir parler de ses propres connaissances ? Il y avait aussi le côté « business » du Stunfest avec tous les professionnels du jeu vidéo et sponsors, avec qui je ne souhaitais pas spécialement partager, mais qu’évidemment je ne renie absolument pas. Après tout, il faut de tout pour faire un monde.
Pour finir, je n’ai jamais inclus de commentaires sur mes runs disponibles sur la toile, car je n’ai jamais souhaité passer mon temps à commenter tout seul ce que je faisais. Probablement que je suis issu d’une génération de « vieux cons » qui ne comprend pas cet aspect quelque peu déshumanisé du web 2.0.
L : Avant d’aborder le plat de résistance, qu’est-ce que Ben 忍 (Shinobi) « Superplay » en ce moment ?
Je recontextualise à nouveau, car j’ai commencé à jouer en salle d’Arcade au tout début des années 80, mais j’ai fait une longue pause pendant les années 90. L’arrivée de l’ère Playstation et de la 3D m’ont amené vers d’autres activités personnelles comme la pratique du tennis à un niveau semi-pro. Et comme tous sportifs assidus, je me suis blessé et c’est donc pour cette raison que je suis revenu au gaming vers 1999/2000 avec une autre mentalité et surtout d’autres objectifs comme la performance. L’assiduité, l’entraînement, la concentration et tout ce qui conduit au dépassement de soi étaient devenus un véritable rituel dans la pratique de mon sport. J’ai fait un transfert du compétiteur de tennis que j’étais vers le hardcore gamer que je suis devenu. Moi qui n’avais jamais joué pour autre chose que pour le fun en salle d’arcade ainsi que sur micro/console, je suis revenu à tous mes jeux favoris comme Donkey Kong, Kung-Fu Master, Green Beret, Shinobi et tant d’autres pour enfin les « terminer ». Cabal étant le seul jeu que j’avais 1CC à l’époque.
L’émission Superplay sur Nolife m’a donné l’occasion d’assouvir mes 2 passions : le hardcore gaming et la pédagogie. Ayant été éducateur sportif pendant 29 ans, j’ai pu mettre à profit mon expérience de la didactique pour partager mes connaissances sur l’Arcade. Je dois bien admettre que certains choix de jeux et de superplay ont été faits en rapport avec l’émission de Nolife. Il m’est arrivé d’enregistrer des runs en faisant des pauses de 30 secondes à certains endroits d’un jeu en sachant à l’avance que j’allais devoir expliquer du contenu qui nécessiterait un certain temps pendant le futur tournage.
Pour en revenir au présent et à la question de départ, je dois reconnaître que je me sens terriblement orphelin depuis la disparition de la chaîne en 2018. N’ayant pas les compétences pour continuer seul une émission pédagogique comme Superplay, je me suis contenté de revenir sur certains jeux pour améliorer mes hiscore comme Solomon’s Key ou R-Type. J’ai également travaillé de nouveaux titres comme Magician Lord, Legend Of Hero Tonma (un magnifique platformer d’Irem), Undercover Cops (un beat’em up de Irem), Slap Fight (un STG de Toaplan injustement sous-estimé) et Taromaru, un jeu d’Hiroshi Iuchi qui réalisera quelques années plus tard un autre monument du STG : Gradius V.
TYPE II
Lerebours : Que représente Gradius à tes yeux en tant d’abord que simple joueur, à l’époque où tu l’as connu, qu’il s’agisse des portages ou bien de l’original en salle d’Arcade ? Peux-tu nous dessiner et remémorer cette époque ? Par ailleurs de ton point de vue de Superplayer, comment évalues-tu chaque épisode canonique (hors portage console/micro donc) et globalement l’évolution de la série, intrinsèquement et en parallèle, de l’évolution des shoot’em’up ?
Ben 忍 : Je fréquentais beaucoup de salles d’arcade au milieu des années 80 et je dois admettre que je n’ai jamais vu un Gradius pourtant sorti en 1985. Peut-être était-il présent dans certaines salles comme à Paris, mais habitant en province, je n’ai jamais pu le vérifier. J’ai d’ailleurs fait ma petite enquête auprès de certains anciens exploitants de jeux de café, qui m’expliquaient que ce titre n’existait pas en bootleg. On a peut-être du mal à imaginer qu’à cette époque, 90% des PCB dans les bornes d’arcade étaient tout simplement des copies. Les exploitants n’avaient pas toujours les moyens de « s’offrir » des jeux originaux. Un ancien exploitant m’a raconté qu’une « plaque » originale valait dans les années 80 environ 5000Fr (1300€ inflation comprise) tandis que le même jeu en bootleg ne coûtait que 3000Fr (800€ inflation comprise)…
Je mets au défi aujourd’hui quiconque de trouver un Gradius (ou Nemesis) en bootleg sur le marché. La PCB de Konami bénéficiait d’un système anti-copie très novateur pour l’époque qui rendait en plus le jeu très fragile. Voilà toutes les raisons pour lesquelles je n’ai jamais pu tester ce chef d’œuvre en salle d’arcade. N’ayant ni console NES ou PC-Engine à l’époque, je n’ai malheureusement pas pu tester les portages sortis sur ces consoles. J’avais pu y jouer sur Commodore 64, mais je dois reconnaître que ce portage ne m’avait pas laissé un souvenir mémorable.
J’ai dû attendre la fin des années 90 pour avoir une expérience digne de ce nom avec Gradius. En effet, le portage « Arcade Perfect » sur Saturn m’a mis une vraie claque alors que le jeu était sorti environ 15 ans auparavant. Je me souviens que l’édition Saturn proposait Gradius 1 & 2 sur le même CD, mais je n’avais pas spécialement accroché au 2nd volet qui était pourtant bien supérieur techniquement. La raison principale de mon amour pour le jeu d’origine furent incontestablement ses musiques. En tant qu’hardcore gamer, si je devais définir un critère principal quant au choix de mes jeux, ce serait certainement mon côté mélomane. Pour s’entraîner sur un jeu plusieurs heures par jour, pendant des mois, voir des années entières, vous avez intérêt à vraiment aimez les musiques !! Imaginez un seul instant un joueur ayant passé 1000 heures d’entraînement sur Bubble Bobble avec son thème atrocement répétitif dans les oreilles…
Fort heureusement les thèmes de Gradius sont sublimes, variés, et en 1985 il n’y avait tout simplement aucun équivalent aussi bien sur le plan technique que sur le plan mélodique. Je ne vois que l’OST d’Outrun comme principal challenger à cette époque. La compositrice Miki Higashino aura marqué l’histoire du jeu vidéo avec l’une des plus belles bandes originales jamais réalisée. Aujourd’hui encore, les 13 thèmes du classique de Konami n’ont pas pris une ride !!
Le gameplay devenu légendaire, par la caractère évolutif de son système d’armement, reste incroyablement addictif et nerveux même lorsque je l’ai découvert 15 ans après la sortie du jeu. La version de Gradius II sur Saturn m’a permis de me rendre compte qu’à l’exception du nombre de sprites et de leurs tailles supérieures, cette suite n’apportait rien de nouveau, si ce n’est un armement plus vaste et des arrières plans un peu plus travaillés graphiquement. La seule innovation de ce second opus réside dans un ennemi aussi original que diabolique : « l’option hunter ». Cet adversaire non destructible et récurrent sur tous les épisodes à venir de la série, ne peut détruire votre vaisseau mais vous « volera » toutes vos options, si vous ne prenez pas garde et provoquera un Game Over quasi inévitable. En dehors de ce nouvel ennemi, cette suite manque d’originalité même si elle reste d’excellente facture.
Ces 2 premiers volets de la série vont aussi marquer une révolution dans l’approche de la performance. Les salles d’arcade japonaise possédaient déjà son lot d’hardcore gamer depuis Space Invaders mais avec Gradius, le niveau de difficulté est clairement monté d’un cran. Faire un loop du jeu n’était plus aussi aisé que pour Galaga, Xevious ou Scramble. La connaissance et la compréhension du game system et du gameplay avaient maintenant une part essentielle dans l’approche stratégique. Par exemple, lorsqu’un miss survenait, il fallait être capable de repartir avec un vaisseau sans armement (à poil dans le jargon). La pression était donc incroyablement élevée notamment dans les loops plus élevés où les « suicide bullets » étaient légions. Gradius a donné les bases de ce qu’allait devenir le « skill » nécessaire au STG, encore présent à ce jour dans les salles d’Arcade japonaises.
L’évolution des épisodes III et IV vont malheureusement dans le même sens que le passage du premier au second épisode, à savoir un manque cruel d’originalité. On trouve néanmoins des armements supplémentaires ainsi qu’une direction artistique qui évolue avec les hardwares de l’époque. La seule évolution majeure se situe dans la difficulté exacerbée, mais peut-on parler réellement d’évolution ?
Gradius III possède un contexte historique assez spécial. En effet, le jeu souffrait d’une mauvaise réputation jusqu’au milieu des années 2000 à cause de sa difficulté. Elle n’évolue pas de manière linéaire au fil des stages. En plus d’un level design chaotique, on peut aussi y ajouter de gros problèmes de hitbox. Néanmoins, les hardcore gamer japonais, toujours à la recherche de difficultés extrêmes, ont commencé à voir les qualités de Gradius III ne serait-ce que pour atteindre le record officiel de +10.000.000 pts (uniquement pour tous les jeux multi loop). Il aura fallu attendre 2018 pour voir un joueur enregistrer ce score. A titre de comparaison, ce record a été atteint pour Gradius I en 1986 et pour Gradius II en 1988, démontrant bien la difficulté extrême de ce 3e opus. Etrangement, la communauté occidentale STG a commencé elle aussi à apprécier cette difficulté ahurissante mais n’étant pas spécialement masochiste par nature, je n’ai jamais pu apprécier Gradius III. Ressentir une frustration parce qu’un jeu est difficile est une chose, mais endurer cette souffrance à cause d’un problème de conception en est une autre…
Concernant Gradius IV, le dernier épisode sorti en arcade, je dois avouer y avoir consacré en peu de temps. La difficulté est toujours très présente, mais les records de 10.000.000 pts sont arrivés presque 2 ans après sa sortie au Japon. Passé la direction artistique plutôt hideuse et des musiques qui ne resteront pas dans les annales, Gradius IV reste de bonne facture avec un level design plutôt cohérent.
Il est difficile de terminer cet historique de la série sans parler de Gradius Gaiden sorti exclusivement sur PS1 en 1997. Pourquoi cet épisode n’a jamais vu le jour en Arcade tant ses qualités sont nombreuses, la question mérite d’être posée. Je ne suis toujours pas fan de l’OST, mais le level design et la réalisation artistique sont cette fois au rendez-vous. L’Edit Mode de l’armement est d’une richesse quasi infinie et on trouve plusieurs niveaux de power-up pour une même arme, ce qui est assez original.
Comment porter un regard sur la série de Konami sans la comparer avec d’autres développeurs spécialisés dans le STG comme Irem, Toaplan ou Taito. La série culte de R-Type possède les mêmes caractéristiques au fil des épisodes ; un gameplay révolutionnaire, un level design diaboliquement ingénieux et une réalisation hors du commun. R-Type Delta peut facilement se comparer à Gradius Gaiden, tous 2 sortis exclusivement sur PS1 avec des qualités similaires. Les défauts majeurs de Gradius III rappellent indéniablement les mêmes problèmes que R-Type 2 avec ses bugs et sa difficulté mal dosée. Les développeurs se sont observés au fil de chaque jeu, faisant évoluer tantôt le gameplay, tantôt la difficulté, tantôt la réalisation artistique. Irem a su garder une qualité constante au fil de sa série avec un premier épisode qui reste selon moi un aboutissement inégalé à l’exception peut-être de R-Type Delta. De son côté, Konami a proposé un premier épisode doté d’un gameplay avant-gardiste ouvrant la voie au STG moderne. Mais incapable de se renouveler au fil des épisodes, Konami aura néanmoins eu la bonne idée d’aller frapper à la porte de Treasure.
L : En parlant de Gradius Gaiden, il est vrai que tu es connu pour être un joueur plus porté sur l’Arcade, mais tu as parfois dérivé sur les supports consoles, qu’il s’agisse de Shinobi ou R-Type. Donc je pose la question à dessein, est-ce que cela te trotte dans la tête de t’essayer à Gradius Gaiden et as-tu analyser quelques runs de joueurs japonais ?
Il est vrai que mes premiers contacts avec le jeu vidéo remontent à 1981/1982 en Arcade, mais j’ai découvert au cours de cette décennie les jeux sur micro-ordinateurs, notamment grâce au Commodore 64 qui possédait ses propres jeux mais aussi ses conversions Arcade. J’ai toujours eu un œil sur les jeux micro et consoles, mais force est de constater que l’Arcade a toujours été une sorte de vitrine technologique pour laquelle je n’ai jamais pu décrocher. Tous les jeux consoles ou micro sur lesquels j’ai travaillé ces dernières années, comme Gradius V sur PS2, R-Type Delta sur PS1, Boulder Dash sur Atari 800 ou les Rick Dangerous sur ST/Amiga ont été choisis pour une raison évidente, à savoir leur gameplay nerveux rappelant les jeux d’Arcade. Certains de ces jeux sont d’ailleurs souvent des hommages à d’autres jeux d’Arcade sorti quelques années auparavant.
Pour en revenir à Gradius Gaiden, que je trouve supérieur à Gradius III et IV, pourtant sortis 2 ans après en Arcade ; ce titre possède des atouts majeurs comme je l’avais expliqué précédemment : Level design soigné, gameplay évolutif avec plusieurs niveaux d’armements, plusieurs vaisseaux disponibles, la possibilité de jouer à 2 simultanément… Malheureusement, l’ambiance sonore m’a laissé dubitatif lorsque je l’ai essayé il y a de ça de nombreuses années. Aussi bien les bruitages, que les musiques ne m’ont vraiment pas emballé. Et lorsqu’on s’attaque à un travail de fond sur ce genre de jeu, il faut en apprécier tous les aspects artistiques. Je sais bien que l’appréciation sonore est totalement arbitraire et subjective selon chacun, mais s’entraîner plusieurs heures par jour pendant des semaines sans accrocher aux musiques est parfois très contraignant pour la performance.
Il m’est néanmoins arrivé, de travailler sur des titres comme Raiden Fighters où les musiques étaient plutôt stridentes au départ, puis avec quelques heures au compteur, j’ai fini par les apprécier au fil du temps. Donc, je ne ferme pas la porte à l’un des meilleurs Gradius de la série. Je tiens aussi à préciser que jouer à haut niveau sur un certain nombre de jeux demande beaucoup de sacrifices et impose malheureusement de passer à côté d’un grand nombre de jeux fabuleux (comme Gradius Gaiden). Je ne suis pas un consommateur par nature et j’ai tendance à toujours jouer aux mêmes titres de manière épicurienne.
Concernant les superplays, j’ai beaucoup apprécié l’émission que tu avais présenté à Nolife sur le second loop. La performance était vraiment de haut vol et je tenais à t’en féliciter. Sinon, j’avais vu également un replay du 8e loop par un joueur japonais et il m’est apparu que la difficulté semble augmenter de manière graduelle comme on peut aussi le voir dans Gradius V.
L : Eh bien, merci ! Pour rebondir, Gradius c’est aussi une logorrhée de jeux périphériques mais indissociables de la série éponyme de Konami. Comment vois-tu et considères-tu le diptyque Salamander et l’avoiné de jeux issus de la fort rigolote, mais tout aussi relevée, série Parodius ? Là encore les questions restent les mêmes : comment les évalues-tu, as-tu déjà voulu t’y frotter et quid des retours de joueurs japonais à leur sujet ?
Salamander est un jeu dérivé de Gradius sorti en 1986. Il est intéressant de faire une analogie avec le passage de Radiant Silvergun vers Ikaruga. En effet, Hiroshi Iuchi avait délibérément agi en termes de soustraction, en éliminant les éléments de gameplay et de scoring system nuisibles à beaucoup de joueurs sur les titres de Treasure. Konami avait agi à l’identique pour créer Salamander. Plus question cette fois de choisir son armement dans un tableau en ramassant des capsules. Toutes les armes se ramassent dorénavant à l’écran et permettent une stratégie simplifiée. Il est probable que l’accueil chaleureux de Gradius au Japon avait néanmoins refroidi les joueurs lambda quant à la difficulté à maîtriser le gameplay. Dans Salamander, il n’est plus possible de se tromper en validant une mauvaise arme comme cela pouvait arriver fréquemment dans Gradius.
Il faut se remettre dans le contexte, mais en 1986, les voix digitalisées en mettaient vraiment plein les oreilles. Bien que je n’aie pas eu la chance de croiser ce jeu en salle courant 1986 (probablement pour les mêmes raisons que j’expliquais précédemment, avec le système de protection qui empêchait les copies de Gradius ?), j’ai toutefois beaucoup joué à un autre titre de Konami sorti la même année et ayant eu un certain succès : Jail Break. Ce dernier n’est pas resté dans les annales, pourtant il bénéficiait des mêmes voix digitalisées. L’alternance avec les phases de scrolling vertical était très bien pensée en termes de gameplay même si j’estime que les développeurs de Konami étaient bien plus doués pour le level design à l’horizontal (rappel : il n’y avait qu’un seul Toaplan à l’époque…). Lorsque l’on voit le nombre d’hommages à Salamander dans Gradius V, on peut légitimement penser qu’Hiroshi Iuchi est un très grand fan de ce titre, reprenant même un niveau complet (le 4e stage très évocateur), sans compter les références aux boss, jusqu’aux musiques de Sakimoto remixés pour l’occasion. Salamander fait partie intégrante de Gradius V.
Concernant la série des Parodius, j’ai eu l’occasion de visionner quelques superplay car, à la différence de Gradius, cette série de jeux avait la particularité d’être limitée à 2 loops, entraînant des records plus officiels. Je crois savoir qu’il existe des subtilités dans l’armement mais n’étant pas spécialement familiarisé avec cette série, je ne pourrai pas en parler de façon explicite. Généralement, je n’ai jamais été attiré par les parodies quel que soit le milieu artistique. La littérature et le cinéma regorgent d’exemples mais j’ai toujours trouvé ce genre d’œuvres beaucoup trop proche du plagiat. Je préfère de loin un artiste qui tente de créer une œuvre originale sans antécédent, même si l’on s’inspire forcément (plus ou moins) d’œuvres précédentes pour créer son propre matériau.
Quoi qu’il en soit, les Superplay que j’ai pu voir de Parodius Da, Gokujyou Parodius et Sexy Parodius montraient des qualités de level design, d’ambiance sonore et de réalisation exceptionnelle avec des références totalement déjantées à la série originelle Gradius. Je n’ai généralement rien contre les univers kawaï, étant moi-même très fan de la série des « cute games » chez Taito avec The Fairyland Story, Bubble Bobble, Rainbow Islands, Parsol Stars, The New Zealand Story, Liquid Kids… j’ai réalisé de nombreux Superplay sur ce genre de jeux, mais j’ai toujours trouvé les réalisations chez Taito beaucoup plus innovantes que celles de la série des Parodius.
Patience pour les lectrices et lecteurs,
La seconde partie arrive demain !
Et Viva Le Core !!