Les lettres de mon vulcain, c’est un format éditorial 100% sans langue de bois où je vous livre ma vision, la mienne, à moi, sans analyse historiographique de mille pages, sur ce qui me fait tiquer, vibrer et frémir tout au fond de mon intérieur de moi-même en ce moment dans le monde du shmup et des boulettes multicolores.
Enfin, je vais essayer, si vous écoutez nos podcasts ou parcourez le forum, il y a de fortes chances pour que vous soyez au fait de mes penchants shmupesques et digressifs…
Pour ce deuxième épisode, permettez-moi de changer de perspective.
Vous n’avez pas été sans le remarquer, j’en ai parlé à environ toutes mes apparitions dans le podcast et on commence à franchement s’intéresser au modèle sur le forum, le twin-stick shooter a le vent en poupe depuis quelques années. Et pas n’importe-quel twin-stick shooter.
Je pourrais en effet écrire mille paragraphes sur la « première vague » du twin-stick moderne, celui de Geometry Wars et de ses cousins abstraits, arena shooters robotronesques dans la plus pure tradition arcade de la course aux points. Mais curieusement, cette frange du genre typiquement indé (elle est née sur XBLA) débutée au milieu des années 2000, ne passera pas le tournant de la décennie. Mécanique trop limitée, jeux trop similaires, répétitivité du marché, ou alors c’était juste pas bon ? Vous y voyez et posez les raisons que vous voulez (c’est pas la question ici et je n’ai toujours pas décidé moi-même), toujours est-il que « l’abstract shooter » , comme certains critiques finiront par l’appeler, va se faire avaler par un tout nouveau genre de jeu.
Le rogueshooter.
Enfin, c’est le nom, tout à fait inofficiel et que j’ai inventé tout seul dans mon bain en jouant avec mon Pentarou en plastique tout en pensant au sujet présent, que je lui ai donné.
Voyez-vous, outre les shmups, je suis un joueur de roguelikes – un gros joueur de roguelikes – du plus roots au plus hybride, du plus original au moins inventif, du plus vieux représentant ASCII des 80s à sa plus hyperréaliste interprétation en 3D. Peu m’importe, j’adore la formule survivaliste du truc, l’aléatoire lié à sa gestion d’inventaire, et sa forme « vie unique » (dite « permadeath » ) en fait l’incarnation la plus arcade imaginable du modèle rôliste (car, oui, les roguelikes sont avant-tout des jeux de rôle).
D’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, qu’on soit bien clair sur un point : ce billet n’est aucunement écrit en défense/validation du genre ou dans le but d’en exposer une supposée supériorité (je vous vois venir 😉 ), juste, la question de son succès éclair m’intriguait, alors j’ai été chercher.
Le roguelike actuel a vécu sa renaissance en 2011 avec les sorties conjuguées de The Binding of Isaac et Dungeons of Dredmor. Infusés à l’hyperactivité d’un petit monde de l’indé alors en plein boom, l’un est un succès populaire inébranlable, l’autre une curiosité reconnue mais très peu jouée. Ils sont pourtant aussi fun, accessibles et gores l’un que l’autre, donc tout à fait à même de plaire exactement aux mêmes joueurs et de jouir de la même réputation, mais Isaac a un truc en plus. Un truc qui fait que même moi, qui ai en profonde horreur son design répugnant, suis bien obligé de reconnaître m’amuser comme un fou dessus : Isaac est en temps réel, avec un level-design zeldaïfié, et un gameplay de twin-stick shooter. Le pauvre Dredmor, jouable tout souris avec son modèle case par case au tour par tour à l’ancienne, n’a malheureusement pas fait le poids (et pourtant, permettez-moi de vous dire qu’il est autrement meilleur qu’Isaac…).
Quoi qu’il en soit, succès fulgurant aidant, Isaac a donné ces sept dernières années naissance à une batterie de clones plus ou moins volontaires et assumés voguant à vue entre les récifs acérés du roguelike et les falaises abruptes du shooting game, s’enfonçant toujours plus en avant dans la brume du procédural, pour le plus grand plaisir des masochistes vidéoludiques du monde.
De Full Mojo Rampage à Enter the Gungeon, de Risk of Rain à Nuclear Throne, de Starward Rogue à Hive Jump, le facteur principal du développement de ce sous-genre multiple se trouve en vérité bien loin de ses supposément insondablement profondes mécaniques. C’est même du pur premier degré sensoriel : les manettes.
Ben oui, l’arcade, c’était il y a longtemps, et aujourd’hui, on joue au twin-stick sur console, avec des manettes… à deux sticks. De fait, le modèle est venu naturellement remplacer (en quantité sinon en qualité) la forme « classique » du shmup. Oh, le petit monde de l’indé est toujours friand des enfants de Space Invaders et de Tiger Heli, ne lisez pas ce que je n’écris pas, mais les lois du marché sont ainsi faites, et au même titre que le pixel-art était subitement devenu « moche » à la naissance de la 3D, un shmup pur et dur pâtira de l’aspect résolument ancienne école de son gameplay. D’un point de vue public et économique global, le twin-stick procédural se vend mieux que le manic shooter, c’est tout.
Le mot-clé ici étant « procédural ». Car bien entendu, utiliser au mieux son support, c’est gentil, mais ce qui a réellement accroché le public, c’est la dose étrange d’aléatoire contenue dans ces jeux.
En effet, depuis quelque-chose comme vingt-cinq ans et la sortie d’un certain Final Fantasy VII, la principale qualité sur laquelle va être jugé un jeu est sa durée de vie – et je ne parle pas ici de replay-value mais bien de sa durée effective. Par un hasard heureux, il s’avère que la durée hypothétique d’un roguelike est précisément incalculable. Ajoutez à cela le potentiel « surprise » de l’objet (son caractère aléatoire lui permettant de toujours montrer quelque chose de nouveau) et son accroche ouvertement hardcore (un roguelike, c’est dur, on meurt vite, c’est le principe), et vous obtenez la recette parfaite pour le jeu vidéo moderne : un truc infini, parfaitement à l’aise sur ses machines support, et hautement streamable.
Car c’est, il n’y a pas de secret, ce dernier point qui fait la majeure partie du succès du rogueshooter. Isaac fut longtemps le jeu le plus regardé sur Twitch, et ses nombreux rejetons n’ont pas l’air de vouloir calmer le jeu.
Là aussi, on trouve une réelle qualité au genre : Isaac, c’était il a sept ans (sans compter ses mille portages et remakes), et sept ans, en âge de jeu-vidéo, c’est sept années-lumières. Sept années-lumières pendant lesquelles le gameplay n’a intrinsèquement pas changé (ça reste du twin-stick) mais qui ont vu l’arrivée de nouvelles mécaniques, d’affinages arithmétiques et d’évolutions techniques, créant un véritable genre à part. A ce titre, depuis 2016, le new sheriff in town, c’est Enter the Gungeon, un jeu qu’on qualifie volontiers de bien plus « organique » que son glorieux prédécesseur.
Au cours de ma visite du net à la recherche de la réponse à ma question, je suis tombé sur une majorité de joueurs qui jouaient tant aux vieux standards de l’arcade (qui sont de toute façon régulièrement remis au goût du jour, demandez à Raiden V et DariusBurst) qu’aux enfants d’Isaac, et qui avaient la même manière d’aborder ces jeux. La montée en popularité du rogueshooter est un reflet naturel des nombreuses refontes que le jeu vidéo a connu au fil des ans ; une alliance de genres et de gameplays qui permet de conserver les qualités les plus old-school de ses inspirations mais qui propose, par son modèle-même, « plus ». On peut y voir le même genre de transformation qui a vu les jeux de rôle s’habiller de gameplays de beat’em all ou les platformers 3D devenir des « jeux d’action-aventure » à mi-chemin entre le jeu d’infiltration et le third-person shooter.
D’un point de vue rogueux, c’est un vieux modèle de 1980 qu’on a revitalisé en lui insufflant de la plate-forme et du twin-stick ; d’un point de vue shooteux, c’est un vieux modèle de 1982 auquel on a ajouté un degré d’aléatoire et une profondeur « meta » bienvenus.
Dans les deux cas, on a retrouvé, sans toutefois renier leur principe de base extrêmement rigoureux, un niveau d’accessibilité que le grand-public ne trouvait pas dans leurs formes « antiques ». On peut apprendre les arcanes d’un roguelike de partie en partie sans pour autant avoir à refaire les quarante premières secondes du premier stage ad nauseam, mais il va néanmoins rester extrêmement compliqué et difficile de voir le dernier boss. Il va falloir maîtriser les particularités du game-design, d’une manière certes différente de celle dont on trouvait des safe spots dans Gradius, mais qui repose toujours sur cette part « émergente » du gameplay qui pousse le joueur à exploiter le système de jeu à son maximum.
Or donc, c’est quoi le délire avec les rogueshooters ? J’y vois une nouvelle façon de m’amuser avec un genre (deux genres, en l’occurrence) que j’apprécie tout particulièrement. Je ne peux pas m’empêcher de faire un curieux parallèle avec le shoot à système : il n’est pas question de « remplacer » le shmup de papa, mais de le pousser à la frontière du genre (des genres?) et de faire de nouvelles choses avec, en parallèle. Et ça marche, indiscutablement, d’autant que pour ceux qui n’apprécient pas Isaac, la formule a été exploitée sous une forme plus classique par Steredenn ou Starr Mazer: DSP, et que des shmups procéduraux, on en trouve déjà des kilos, notamment chez les clones de Defender et Asteroids. Tout simplement, le rogueshooter, c’est du shmup adapté, moderne et accessible, sans pour autant sacrifier à l’approche dure-au-mal du genre et au caractère de pure performance qui l’accompagne.
Juste, on ne compte plus les points, on compte les heures.
Excellent article, tiens. Et la thématique ne me déplaît pas, loin de la.
Tout à fait conscient que ce que j’aime dans les rogue-shoot, c’est ce que tu décris concernant la variété accrue pour ce qui est des débuts de partie tout du moins, tu m’as révélé ce qui me dérange le plus dans le genre, sauf sur les quelques titres qui on le bon gout de se terminer (très) rapidement :
« Juste, on ne compte plus les points, on compte les heures. »
A part peut être sur Nuclear Throne, et Monolith aussi qui se défend bien dans ce domaine : je suis bien vite lassé par le modèle rogue shoot modèle Twin Stick.
Par contre un p’tit Robotron, c’est comme 1943 pour moi : anytime, anywhere!
En tout cas je plu-sois à fond ce second volet des lettres de mon vulcain! Une petite selection des meilleurs représentant en soutient pourrait être cool pour les newbie, j’me dis aussi :p
Bien vu cap’tain :p
Ah, ça, l’horodatage, c’est précisément ce qui fait que ces jeux sont bel et bien des rogues avant d’être des shoots, n’en déplaise à notre bon Hubert.
La durée de vie se fait sur l’équipement et la progression, le loot et la notion de build – et leur équilibre. On a la possibilité de recommencer ad nauseam un circuit qui, dans l’absolu, ressemble à celui de n’importe-quel shmup, mais la mise en place effective des mécaniques est toute autre. Même si on en garde une certaine saveur (le principe « vie unique » est facilement comparable à nos chers crédits), on est quand même loin des bornes. Il faut autre chose pour tenir en haleine.
En dehors de l’appartenance genresque et bien au delà des modèles de gameplay twin-stick, run’n gun ou classique, fondamentalement, ça s’aborde vraiment pas de la même manière, et c’est sûr que d’un point de vue purement shmupeur, les techniques usuelles ne sont d’aucun réel secours. Tu peux pas aller loin en jouant à la volée, t’es obligé de préparer tes runs, mais contrairement à un Psikyo où tu peux anticiper et apprendre malgré le degré d’aléatoire de la sélection des stages, ici t’es en impro tout du long, et tu dois connaître et faire les bons choix sur des questions mécaniques, pas nécessairement dans le gameplay lui-même ; pas mal de runs sont voués à l’échec d’entrée si tu lootes rien d’intéressant, que t’as pas assez de fric ou que tu tombes sur le mauvais boss à la fin du premier étage.
T’as pas le même rythme de progression, et t’as pas non plus de marquage clair de tes paliers – t’as pas de tableau à la fin qui te note clairement, et tu sais que d’une partie à l’autre tout peut changer si le number god te chie dans les bottes.
C’est du grind, ni plus ni moins, qui fait monter ton expérience de jeu plutôt qu’une barre à l’écran, mais l’idée est la même… D’où un certain sentiment de stagnation une fois qu’on connait les ficelles. Et d’un autre côté, tu peux aussi jouer de l’argument inverse : un shmup, c’est dur, « faut bosser pour avoir un beau clear, mais quand tu le connais, tu le récites, alors qu’ici, même si tu connais toutes les mécaniques par coeur, tu vas devoir t’adapter à chaque nouvelle partie, le plafond pour « être bon » et finir le donjon à chaque fois est moins haut (c’est tout l’intérêt du build) mais plus long (c’est tout l’intérêt du procédural). C’est tes habitudes de jeu qui te fond ressentir l’un ou l’autre (la stagnation ou la progression, s’entend).
Et y a pas de secret, hein, de mon expérience à parler avec des développeurs et des joueurs et des nombreux retours qu’on peut lire au hasard du web, ces jeux sont définitivement plus agréables à jouer pour les rôleux que pour les shooteux.
Bon, perso, j’ai du bol, j’dois faire partie d’une rare frange de joueurs chez qui ça conjugue pile-poil les deux genres favoris 😛
…Quant à dresser une liste, je pense ben que je dois citer une dix ou douzaine de noms dans l’article. Si t’es pas servi avec ça 😉
oh! Le beau complément à l’article sous forme de réponse à mon commentaire.
Bien joué, je recommencerai!
Excellent article.
Android Assault Cactus also fit the example of robotronesques and is worth playing.
Indeed, but it’s not a roguelike. Maybe I’ll do a paper on « proper » twin-stick shooters, one day, there’s loads of fun to be found in that branch, too (Echoes, Renegade Ops, Ultratron, Brigador, Hybrid Wars, Tower57, the 10tons games… Yea, loads…) 😉