Les Lettres de mon vulcain, c’est un format éditorial 100% sans langue de bois où je vous livre ma vision, la mienne, à moi, sans analyse historiographique de mille pages, sur ce qui me fait tiquer, vibrer et frémir tout au fond de mon intérieur de moi-même en ce moment dans le monde du shmup et des boulettes multicolores.
Enfin, je vais essayer, si vous écoutez nos podcasts ou parcourez le forum, il y a de fortes chances pour que vous soyez déjà au fait de mes penchants shmupesques et digressifs…
Pour ce premier numéro, laissez-moi vous raconter une histoire.
Financé via Kickstarter en avril 2017, sorti au bout du mois de janvier cette année, Pawarumi fait parler de lui depuis un petit moment. Beau, nouveau, français, original, il a attisé regards et curiosité pendant des mois, se découvrant peu à peu via un Early Access particulièrement réussi et s’affirmant comme l’une des valeurs sures d’une nouvelle vague du shmup installée loin des bornes.
Et si j’ai moi-même été grandement intrigué par l’animal, Pawarumi est pourtant longtemps resté à la porte de mon ordinateur. J’ai obstinément refusé d’y jouer pour une raison très simple et terriblement logique : Radiant Silvergun.
Il est absolument impossible de ne pas voir le spectre du jeu de Treasure planer au dessus de Pawarumi, de ne pas sentir son ADN dans l’habillage coloré imaginé par les gars de Manufacture 43. Et moi, j’aime pas Radiant Silvergun.
Ce que j’ai, fauchant l’appellation à un journaliste il y a plus de quinze ans de ça, fini par adopter sous le nom de « shoot à système » est une branche tout à fait particulière du shmup que j’ai bien peu de mal à avouer comme ma favorite (pour ce qui est de l’apparence admise « classique » du shmup, s’entend, sinon, vous savez je pense depuis un moment que je suis un twin-stickeux convaincu – mais là n’est pas la question, reprenons…) le shoot à système, c’est l’une des tentatives d’ouverture de gameplay du genre dans les années 90 (avec le danmaku), une forme qu’on doit alors à Rayforce et qu’on retrouvera sur des jeux aussi variés qu’Einhander, G-Darius (le jeu qui m’a fait tomber amoureux du style) ou, donc, Radiant Silvergun. Il s’agit dans ces jeux de marier une profonde cinématographie à un gameplay particulièrement touffu, le « système » en question, reposant autour d’une mécanique donnée dont la maîtrise est obligatoire pour progresser autant que scorer. Le lock de Rayforce, la capture ball de G-Darius, les armes d’Einhander… les couleurs de Radiant Silvergun.
Or donc, Pawarumi est un shoot à système inspiré par le roi des shoots à système (non, ne pas l’aimer ne m’empêche pas de reconnaître son impact), sorti à une époque où les shoots à système sont morts et enterrés (avalés par le danmaku) depuis 2002 et Ikaruga. Un OSNI génial, un truc venu du fond des âges et qui redynamise, l’air de rien, une forme de shmup qui avait aidé le genre à passer le millénaire et à se transporter des salles vers le salon.
Une partie de moi est certaine qu’en dehors de son modèle avoué, aucune des considérations dont je viens de vous faire part n’a à aucun moment touché les garçons de Manufacture 43, qui se sont avant-tout atteler à faire un jeu. Mais au delà des réalités purement pratiques du projet, de son existence même découle tout un tas d’implications que l’histoire vidéoludique (vous m’excuserez, je refuse d’utiliser le portemanteau frenglish dégueulasse de « playhistoire » ) aura, une fois le produit livré à l’appétit d’une communauté shooteuse en mal de figures tentatrices, tôt fait de leur rappeler. Comme quand, par exemple, alors qu’ils présentent leur jeu à Tokyo, on leur confie qu’on a l’impression que « le jeu a été fait par des japonais » .
Mais je ne suis pas en train d’écrire ces lignes pour vous expliquer d’où vient Pawarumi. Non, si j’ai dégainé mon clavier aujourd’hui, c’est pour parler de ce qu’il représente pour moi.
Je viens très benoîtement de nommer le shoot à système comme mon style de shmup favori, tout en avouant en détester le titre majeur, titre dont s’inspire Pawarumi. Et là est tout le sel du jeu de Manufacture 43. Le shoot à système a un look, cinématographique, tridimensionnel, et un gameplay, mécaniquement complexe, dédié aux stakhanovistes du par-coeur élevé au biberon de jeux comme R-Type ; il appartient à une mouvance d’esthète, une radicalisation, différente de celle du manic, mais qui fut nécessaire au genre à la fin des années 90. Et ce bagage est absolument fascinant, surtout quand, adolescent, vous découvrez réellement le genre à cette époque.
Oh, j’ai shmuppé quand j’étais gosse ; j’ai joué à Nemesis, à Firebird et à Knightmare sur mon MSX, j’ai eu Xenon 2, Stargunner et Tyrian sur mon PC, mais je ne serais pas ici aujourd’hui sans Raycrisis et Ikaruga. Je n’ai jamais eu de consoles étant jeune, et Raycrisis et Ikaruga m’ont fait baver, au tournant du millénaire, sur leurs machines respectives. J’ai finalement eu une Dreamcast en 2005, et j’ai acheté Raycrisis sur PC, dans son portage Windows 95 par Cyberfront, quelques années après. Un peu plus tard encore, je me suis offert son frangin Raystorm en lot avec G-Darius (dans un bundle signé SourceNext – l’édition de ces jeux sur PC est une aventure). Cette informelle trilogie de la fin des années 90, véritable chant du cygne d’un Taito qui fermerait sa division jeu en 2001, m’a fait (avec Ikaruga, donc) entrer d’un bloc dans un shmup que mes souvenirs embrumés d’un vieil ordinateur 8-bits nippon avaient bien du mal à appréhender. Et, disais-je, je suis tombé amoureux. C’était ça le shoot que j’aimais.
Alors j’ai cherché, cherché beaucoup, cherché loin ; j’en voulais encore, j’en voulais d’autres. Et puis, ma connaissance du shmup grandissant, j’ai remonté les filiations jusqu’au sensément « Graal » de la discipline, le « jeu le plus cher du monde » à l’époque, celui dont « Ikaruga est la suite »… Radiant Silvergun.
J’me fais chier quand je joue à Radiant Silvergun. C’est à peu près l’étendue de mon retour critique sur le jeu de Treasure. Je sais pourquoi, bien entendu, mais là n’est pas la question. Le feeling me parait morne, l’armement obtus, le rythme effroyablement plat… Surtout, il a le défaut des shoots à système qui en font trop : il n’existe qu’un seul chemin. Plus qu’un shmup, il me fait l’effet d’un puzzle game ; j’aime bien les puzzle games, mais pas dans un shmup.
Je pense dès lors qu’il est aisé de comprendre toute la méfiance que j’avais à l’égard de Pawarumi, ultime rejeton d’un shoot d’esthète que le manic tout-puissant avait laissé dans son rétroviseur il y a plus de quinze ans, avec pour modèle ce qui s’avère au final être le seul représentant majeur de sa tendance que je n’aime pas.
Sauf qu’entre ce que mon cerveau analysait et ce que mon doigt-à-gâchette voulait, il y avait un gouffre. Un gouffre qui me disait (me hurlait, même) « Plonge ! »
Alors j’ai plongé. J’ai joué à Pawarumi. J’ai volé entre les rails de ses gares et les colonnes de ses temples, j’ai frôlé son désert enfumé en écoutant une bande son épique à rendre Mick Gordon profondément jaloux, j’ai imprimé dans ma tête ses correspondances colorées et sur ma rétine ses patterns corollés, j’ai rêvé devant son monde luxuriant et vibré face à la quête de son héroïne.
J’ai joué à un jeu organique et fluide, où même mon niveau d’absolu sac qui a mis douze heures à passer le deuxième niveau (en easy…) n’a jamais réussi à m’empêcher de m’amuser, de trouver et de tester des chemins là où il ne semblait pas y en avoir, de me sauver d’un coup de trinité colorée bien placé. J’ai joué à l’antithèse de Radiant Silvergun. J’ai… joué. Juste joué.
Et je suis retombé amoureux.
Mécaniquement, Pawarumi est le nouveau Radiant Silvergun. Personnellement, Pawarumi est mon nouveau G-Darius.
Tu m’enchantes par tes articles, la Tortue. Ce jeu me fait de l’œil depuis un moment. En tant que shmupper moi aussi, j’aurais beaucoup d’autres jeux sur lesquels te demander ton avis.
Merci beaucoup.
Oui merci pour ce super article ça nous touche bcp
Oh mais c’est excellent, ce concept de lettres de mon Vulcain!!!
Avec une belle plume comme ça, en plus, on va pas se plaindre :p
Pawarumi ça fait un bail que je l’ai pas relancé, tout comme Steam d’ailleurs, mais pas par manque d’envie du tout (pb technique en fait) par contre je me rappel encore la belle mise en scène et surtout…cette OST très typée qui colle parfaitement au thème central, bien fichu et Moog-based.
E.X.C.E.L.L.E.N.T.
Allez, maintenant j’attends la prochaine lettre!