Le Stunfest 2018 était une superbe opportunité pour découvrir la nouvelle vague de développeurs et éditeurs de shoot’em ups, et Shmup’Em-All a eu le privilège de rencontrer Hiroyuki Kimura, le CEO de Tanoshimasu, accompagné d’Eric Chung, le CEO d’exA-Arcadia, pour en apprendre un peu plus sur le développement d’Aka to Blue et sur leurs ambitions futures.
– Pouvez-vous nous présenter Tanoshimasu ?
Hiroyuki Kimura : Quand vous regardez le Japon, c’est un pays où les jeux sur réseaux sociaux et smartphones sont en plein essor, et je voulais créer des jeux dans la veine d’Aka to Blue. C’est pour ça que j’ai fondé Tanoshimasu.
gekko : Que veut dire “Tanoshimasu” ?
HK : En japonais, cela signifie avoir des gens qui apprécient quelque-chose, et donc nos jeux.
– Comment êtes-vous entré dans l’industrie vidéoludique ?
HK : J’ai commencé comme commercial, plutôt que de travailler dans le design ou le développement. Je suis ensuite passé à la planification, qui est l’équivalent du responsable du game-design, et ainsi de suite. Malheureusement, je ne peux pas vous dire pour quelle compagnie j’ai débuté ! [rires]
– Avant de fonder Tanoshimasu, vous étiez employé chez CAVE. Pouvez-vous nous parler des jeux sur lesquels vous avez travaillé là-bas ?
HK : J’ai travaillé sur Akai Katana Shin sur XBOX 360, DoDonPachi SaiDaiOuJou en arcade, et DoDonPachi Maximum sur iOS et Windows Phone.
G : Si mes souvenirs sont bons, vous étiez fortement impliqué sur DoDonPachi Maximum ?
HK : Oui, c’est le premier projet que j’ai produit pendant mon passage chez CAVE. Pour être plus précis, j’étais le directeur d’Akai Katana Shin et DoDonPachi SaiDaiOuJou, et le producteur sur DoDonPachi Maximum.

– La fermeture de la division arcade de CAVE a-t-elle été le catalyseur derrière la formation de Tanoshimasu ?
HK : Bien sûr, le départ de CAVE de la scène arcade alors que de nombreux joueurs étaient encore demandeurs de nouveaux shoot’em ups est l’un des facteurs qui m’ont poussé à créer Tanoshimasu, mais ce n’est pas la raison principale.
G : Quelle est-elle, alors ?
HK : Je voulais vraiment créer un jeu que les gens puissent apprécier en déplacement et qui soit vendu complet, contrairement aux autres jeux mobiles qui vous demandent de faire des micro-transactions.
– Pourquoi avoir choisi de faire un jeu mobile, et pourquoi un shoot’em up ?
HK : Quand nous avons fondé notre studio, nous n’étions évidemment pas très connus dans l’industrie. C’est plutôt difficile au Japon d’obtenir un kit de développement pour une console, alors nous avons regardé sur quelles plates-forme les petites compagnies pouvaient faire des jeux.
Au début, nous nous sommes portés sur le PC, qui semble être l’approche la plus sensée pour un développeur indépendant, mais il n’y a aucune chance pour qu’un studio comme le nôtre puisse utiliser le même type de ressources qu’un jeu AAA. Nous avons donc choisi le mobile – parce que tout le monde a un téléphone. Cela nous permettait de faire un jeu qui toucherait un plus grand public, et de développer un jeu qui utiliserait les capacités d’un smartphone moderne typique.
Quant à la question du shoot’em up, la première raison tient au faible coût de développement – ce type de jeu coûte bien moins cher que d’autres. Et aussi, depuis 2012 et DoDonPachi SaiDaiOuJou, ça faisait longtemps qu’un vrai shoot’em up n’était pas sorti. Ce sont les deux raisons principales.

– Aka to Blue a parcouru beaucoup de chemin, et la version initiale du jeu est très différente de la définitive. Pouvez-vous nous en dire plus sur le développement ?
HK : A l’origine, quand nous avons commencé notre projet de shoot’em up, nous avons essayé d’obtenir une vieille licence de Bandai Namco. Nous avons postulé au Bandai Namco Classic IP Project et nous avons été sélectionnés ! Puis nous avons regardé de plus près au modèle économique, et nous nous sommes rendus compte que nous ne ferions pas beaucoup d’argent en utilisant cette licence à cause des droits. Alors nous avons décidé de faire un jeu original, et c’est comme ça qu’est arrivé le jeu que vous voyez aujourd’hui.
G: D’après une interview avec IGN Japan, Aka to Blue était d’abord un shoot’em up composé de plusieurs mini-jeux, est-ce vrai ?
HK : C’est vrai. Nous voulions faire un jeu autour de ce concept en utilisant la vieille licence de Bandai Namco.

– Pourquoi avez-vous choisi Unity comme moteur pour Aka to Blue ?
HK : C’est très simple : nous avions le projet de faire un jeu multi-plateformes dès le départ donc Unity était le plus facile pour ça, et notre programmeur Yugo Fujioka nous l’avait recommandé.
G : Cela vous a-t-il aidé pour porter Aka to Blue en arcade, plutôt que d’avoir utiliser un moteur dédié ?
HK : Que nous ayons utilisé Unity ou un moteur dédié, porter Aka to Blue en arcade aurait probablement demandé la même somme de travail.
Eric Chung : Aussi, l’exA-Arcadia étant compatible avec Unity puisque basé sur une architecture PC, c’était plus facile pour eux de porter le jeu sur notre système. Je suis d’ailleurs certain que c’est le premier jeu d’arcade qui utilise Unity.
HK : C’est juste une coïncidence ! [rires] Fondamentalement, nous sommes capables de faire [Aka to Blue Type-R] parce que nous travaillons ensemble avec exA-Arcadia, et nous pouvons faire le processus d’entrées-sorties très rapidement avec Unity. C’est une collaboration entre Tanoshimasu et exA-Arcadia, c’est pour ça que nous avons été capables de le faire aussi facilement.
– Quelles étaient vos principales sources d’inspirations pour Aka to Blue ?
HK : Gradius V !
G : Gradius V ?!
HK : Gradius V !!
G : [rires]
HK : Vous voyez, au début du stage 2 de Gradius V, quand vous entrez dans le grand vaisseau ? Je voulais refaire ça ! Vous pouvez aussi voir votre vous-du-futur au même moment, et au stage 8 vous revenez dans le stage 2 avec votre vaisseau de l’autre côté, c’était vraiment génial !

– La musique d’Aka to Blue, composée par WASi303, apporte beaucoup au dynamisme du jeu. Comment est-il arrivé sur le projet ?
HK : WASi303 et moi sommes amis depuis un moment, nous avons travaillé ensemble pour la première fois sur DoDonPachi Maximum. WASi303 est plus connu pour ses productions techno comme Psyvariar, mais il fait aussi partie d’un groupe nommé HEAVY METAL RAIDEN, qui est plutôt orienté guitares et rock.
Je l’ai vu en concert avec son groupe une fois, et j’ai pensé “je veux vraiment qu’il fasse ce genre de musique pour mon jeu !”. Alors je lui ai demandé et il a accepté. Il n’avait jamais fait de bande-son rock pour un jeu avant, c’était vraiment une première pour lui.

– Le guitariste de HEAVY METAL RAIDEN, Ikeda Minorock, a aussi participé à la bande originale de Aka to Blue comme guitariste principal pour la musique du Stage 3. Comment Ikeda est-il arrivé sur le projet ?
HK : Un peu de la même manière que WASi303. Minorock et moi aimons sortir boire un verre ensemble ! Nous buvions ensemble un jour avec WASi303, et Ikeda a soudain dit “j’aimerais bien jouer un peu de guitare !” Il a demandé à WASi, qui a bien évidemment accepté, et ça s’est décidé comme ça. Et après avoir vu HEAVY METAL RAIDEN en concert, et vu la performance d’Ikeda, comment aurais-je pu refuser ? [rires]
– Est-ce que les retours sur Aka to Blue que vous avez jusqu’à présent sont au niveau de vos espérances ?
HK : A la sortie d’Aka to Blue sur smartphones, les retours étaient très satisfaisants, mais nous n’étions pas en mesure de contacter les bonnes personnes et de commercialiser le jeu à l’étranger. Le nombre de téléchargements à l’heure actuelle est convenable, mais reste peu élevé. Je pense que c’est une faiblesse de notre côté, et je voudrais vraiment résoudre ce problème.
– L’annonce de Aka to Blue Type-R fut une surprise pour beaucoup de joueurs. Comment est venue l’idée de réaliser un portage en arcade ?
HK : L’initiative derrière la sortie de Aka to Blue en arcade vient d’Eric Chung, quand il m’a dit “Tu devrais sortir Aka to Blue en arcade”. C’était un peu comme quand Ikeda a souhaité jouer de la guitare pour mon jeu, si quelqu’un vous dit “Tu peux sortir ton jeu sur un support en arcade”, comment pouvez-vous refuser ? [rires]
– Pourquoi vous êtes-vous orienté vers exA-Arcadia comme support arcade ?
EC : Dans l’industrie vidéoludique japonaise moderne, il n’y a pas beaucoup de compagnies capables de vous fabriquer une PCB (carte de circuit imprimé – ndlr) et de la vendre. A l’heure actuelle, tout ce que vous avez tient au NesicaxLive de Taito et au ALL.Net P-ras Multi de SEGA. Vous ne le savez probablement pas, mais il y a une partie du modèle commercial de ces deux systèmes qui n’est pas favorables aux exploitants de salles. A chaque fois que vous mettez une pièce dans ces machines, Taito et SEGA touchent une part de cet argent. Pour chaque pièce de 100 yens, ils peuvent percevoir trente à trente-cinq pour cent, voire cinquante sur certains jeux.
exA-Arcadia ne prend pas d’argent, zéro pour cent, tout va aux exploitants – ce qui leur permet d’accroître leur entreprise. Nous sommes le seul fabricant qui fait ça. Tous les autres systèmes prennent un pourcentage. Ca ne crée pas vraiment un environnement très sain quand il y a si peu de jeux en exploitation, spécialement quand les fabricants prennent de plus en plus. Une partie au Japon coûte 100 yens, et cela depuis trente ans sans inflation, mais les coûts de vos locations et de vos employés ont augmentés, eux, et les fabricants vous ont pris de plus en plus d’argent – c’est pour ça que beaucoup de salles d’arcade ferment aujourd’hui.
HK : Et aussi parce que Nesica et ALL.Net ne sont pas disponibles à l’étranger, et nous voulions que les joueurs en dehors du Japon puissent profiter de notre jeu. J’ai donc décidé très rapidement d’aller vers exA-Arcadia, non seulement car ils soutiennent l’écosystème de l’arcade, mais aussi parce qu’ils offrent un suivi global. Ce qui veut dire que n’importe-qui autour du monde peut avoir accès à nos jeux. Et avec le système économique d’exA-Arcadia, ils peuvent vendre un jeu et partager les profits avec les créateurs.
– Aka to Blue étant un jeu pensé initialement pour les mobiles, quel impact a eu l’implémentation d’une jouabilité au stick sur le game-design ?
HK : A l’origine, jouer avec un stick et des boutons n’avait pas beaucoup d’impact, vous pouviez donc jouer tout à fait normalement comme sur la version smartphone. Mais désormais, je pense que nous allons changer le design pour mieux l’adapter au marché arcade.
G : Est-ce que ce changement aura un impact sur des éléments importants comme le placement des ennemis, les patterns ou la difficulté générale ?
HK : Nous ferons des ajustements, bien sûr, mais nous voulons aussi changer des choses au niveau graphique, notamment. Si vous faites attention, vous verrez que le boss du premier niveau est différent de celui que nous avions montré durant la JAEPO en février dernier.
– En fin d’année, des photos d’une Nintendo Switch affichant l’écran de menu d’Aka to Blue ont fuité, avec derrière l’annonce d’un mystérieux “Project Type-S“. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
HK : En fin d’année dernière, nous avons fait une fête chez Tanoshimasu et nous avons révélé le fait que nous avions essayé de travailler sur Nintendo Switch et montré le fruit de notre travail aux personnes présentes. Nous n’avons jamais eu l’intention d’annoncer que nous allions sortir Aka to Blue sur Switch. Il y a des problèmes techniques que nous n’avons pas encore résolus et il y a aussi les coûts de développement à prendre en compte, mais pour le moment il n’est pas prévu de sortir Aka to Blue sur Switch. Aussi, “Type-S” ne veut pas dire “Type-Switch”, mais “Type-Second”.
G : Quand les photos ont fuités et que cela a été suivi par l’annonce de Project Type-S, beaucoup de gens ont pensés que cela avait un rapport avec la Nintendo Switch.
HK : En fait, Type-R est arrivé avant Type-S, c’est pour ça que le “S” signifie “Second”. C’était notre second projet, parce que Type-R est devenu une “Réalité” quand nous avons pu produire le jeu pour l’arcade. Actuellement, nous travaillons exclusivement sur Aka to Blue Type-R.
– Voyez-vous encore Steam comme étant encore un marché intéressant pour les shoot’em up ? Si oui, un portage de Aka to Blue serait-il possible sur PC ?
HK : Il n’y aura pas de version Steam d’Aka to Blue, pour la simple raison qu’il ne ferait probablement pas beaucoup de ventes. Quand vous regardez les shoot’em ups de Steam, ceux qui se sont bien vendus sont Astebreed et Sine Mora, mais les autres très peu.
Je pense que même DoDonPachi Resurrection et Ikaruga ne se sont pas vendus à plus de trente mille exemplaires. Regardez le modèle économique de Steam et d’Android – sur ces deux plates-formes, vous pouvez demander un remboursement pendant une certaine période. Maintenant, regardez les shoot’em ups – la plupart de ces jeux peuvent être finis en moins de trente minutes. Vous avez donc beaucoup de joueurs qui achètent le jeu, le finissent, et demandent un remboursement, ce qui rend la perspective de sortir un jeu sur cette plate-forme très peu enviable. Beaucoup de gens ont demandé un remboursement pour Aka to Blue sur Android, vous seriez surpris par les chiffres.
– Avez-vous d’autre projet après Aka to Blue Type-R ? Une suite, un nouveau shmup ou un jeu dans un autre genre ?
HK : Mon espoir est de pouvoir faire un jeu complètement différent après Aka to Blue, probablement un jeu d’action que tout le monde pourrait apprécier. Je pense que les gens pourraient se méprendre et croire que Tanoshimasu est un studio qui ne fait que des shoot’em ups, mais après notre jeu d’action, qui sait, je pourrais bien avoir envie de faire une suite à Aka to Blue ! [rires]
En vérité, mon ambition est de devenir une compagnie comme Treasure. Treasure est un studio fascinant qui a fait des jeux d’actions très intéressants comme Gunstar Heroes et également d’excellents shoot’em ups comme Ikaruga. J’ambitionne pour Tanoshimasu de devenir un studio capable de produire des jeux de cette qualité.
G : Merci beaucoup Kimura-san d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
HK : C’est moi qui vous remercie, ce fut un plaisir
G : Une dernière chose, durant nos Shmup’em all Awards l’an dernier, Aka to Blue a gagné le titre de meilleur shoot’em up sur smartphone ! [rires]
HK : Génial ! Cette année nous allons viser celui de meilleur shoot’em up en arcade ! Aussi nous souhaitons, Tanoshimasu, remercier les joueurs français pour leur passion des shmups. Merci beaucoup !
Remerciement spécial à Eric Chung pour avoir été notre interprète et sans qui cette interview n’aurait pas été possible.
Traduction : skoeldpadda